A qui profite le « free space » ?
Depuis quelques mois, la presse spécialisée internationale s’en prend aux agences médias. Pour quelle raison ? À cause du manque de communication de ces structures quant à l’origine de leurs revenus. Un phénomène inquiétant…
La critique porte avant tout sur le manque de transparence quant au rôle des agences médias, à l’influence qu’elles exercent sur les achats et à la pratique consistant à accorder remises, espaces gratuits et autres ristournes. Dans le cadre d’une présentation effectuée le 5 mars 2015 à l’ANA Media Leadership Conference (l’ANA étant l’équivalent américain de l’ASA suisse), Jon Mandel, ancien CEO d’US Mediacom, avait déclaré : « Have you ever wondered why fees paid to agencies have gone down and yet the declared profits of these agencies are up ? » (Vous êtes vous demandé pourquoi les factures des agences ont diminué alors que leurs bénéfices ont augmenté ?), provoquant un déluge de courriels envoyés par médias et distributeurs qui évoquaient les ristournes dissimulées (se situant entre 10 et 20%). En Allemagne, Haribo est depuis 2009 en procès afin d’obtenir le droit de consulter les documents commerciaux de Magna Global, le groupement d’achat utilisé par Mediaplus. Son soupçon : toutes les remises en nature (espaces gratuits) accordées n’auraient pas été communiquées ou transmises au client. Le 9 mars dernier, Thomas Koch, le « Monsieur Médias » d’outre-Rhin, évoquait dans W&V la situation générale du marché : « Les plans médias inadéquats ont été trafiqués en faveur des agences. La méthode est si raffinée que les clients n’ayant pas leur propre media manager n’y ont vu que du feu. »
Processus non transparent
La complexité du processus d’achat engagé entre annonceur, agence médias, société d’achat, distributeurs et médias est à l’origine du problème. Sur le triangle basique client/agence médias/support viennent se greffer des unités d’agences spécialisées autonomes, avec des contrats de gestion d’affaires offrant des avantages en termes de regroupement (au niveau du groupe ou en tant que partenaire de co-entreprise) mais empêchant toute transparence. Grâce à la réglementation boursière (SOX,…), certaines agences mettent cartes sur table et demandent à leurs clients de signer les avenants correspondants, qui excluent explicitement le droit d’audit média. Bien entendu, les « négociations de vente » se concentrent sur les avantages escomptés (plus de remises, espace gratuit supplémentaire ou prix du contact plus avantageux), l’abandon de ce droit étant passé sous silence. Une chose qui risque toutefois de coûter cher. L’audit à lui seul ne génère néanmoins ni transparence, ni confiance. De plus, la nécessité de l’audit illustre sans détours le recul de la confiance.
Des plans médias « déséquilibrés » ?
Ce n’est pas toujours le fait de ne pas faire profiter le client d’espaces gratuits ou de ristournes qui mine systématiquement la confiance. Bien souvent, tout commence par des plans médias « déséquilibrés ». Les plans médias sont pondérés en fonction des intérêts des agences : on choisit volontiers les produits propres ou fournis par des agences partenaires ou de réseau, les supports bénéficiant d’accords de bonus/de gestion d’affaires étant privilégiés plus qu’il ne se doit lors de l’attribution des budgets. Thomas Koch n’y est pas allé par quatre chemins : « Il s’agit donc d’une tromperie manifeste du client servant à booster le propre taux de rendement. »
Une autre façon de procéder en Suisse ?
Contrairement à l’Allemagne, les agences médias suisses opèrent au nom et pour le compte de leurs clients, les factures mentionnant en général leur adresse. Mais cette situation est en train de changer avec de grandes agences médias se présentant comme des conseillers neutres ayant opté pour une nouvelle forme mixte associant conseil, distribution et fourniture de produits. Dans ces cas, les clients ont souvent du mal à reconnaître si l’agence médias agit en tant que conseiller digne de confiance ou de vendeur défendant ses propres intérêts.
Que faire ?
Il revient aux annonceurs de prendre conscience du rôle et des affiliations de leurs agences : ils doivent en parler ouvertement avec elles et évaluer régulièrement leur travail. La vérification des contrats et conditions d’une agence médias doit être confiée à un spécialiste, les annonceurs pouvant demander à l’ASA ou à tout autre organisme de les aider.
Autre démarche envisageable, l’optimisation de la compétence médias dans la propre organisation, car l’enjeu en vaut la peine : gros budgets publicitaires et retour sur investissement médias. Des ateliers de travail spécialisés consacrés à la gestion des médias sont par exemple un bon moyen pour permettre au service de communication d’apprendre à négocier d’égal à égal avec les agences médias. Pour les annonceurs, cette mesure ne peut que profiter à leurs plans médias, en termes de quantité comme de qualité. Mais il n’est pas question de soupçonner systématiquement les agences médias ! Quand on n’a rien à cacher, on doit pouvoir partager globalement toutes les informations dans un souci de transparence et de confiance.
La stratégie/planification dissociées du processus d’achat : un scénario d’avenir ?
Dans l’intérêt des objectifs de la communication, le processus de stratégie et de planification médias se doit d’être neutre et indépendant. Dans le cas idéal, le processus d’achat est alors dissocié du processus stratégique/de planification, afin d’éviter que seules les promotions n’influencent la décision d’achat. Pour la stratégie et planification médias, il faut que l’activité de conseil, spécialisée et avant tout neutre, soit fournie par des professionnels des médias, dont le travail sera bien entendu correctement rétribué. Nous considérons cette mission comme une chance pour l’avenir. Dans des cas exceptionnels et n’intéressant certainement que les grands annonceurs, le processus d’achat peut être pris en charge ou délégué à un groupement d’achat indépendant.
Pour tous les acteurs impliqués, la gestion médias devient toujours plus complexe et donc plus difficile à maîtriser ! Il est d’autant plus important de poser ses marques en temps voulu et dans la bonne direction. Conseillant ses adhérents dans tous ces domaines, l’ASA met à leur disposition, sur son site, toute une palette d’outils.
Article écrit par Sandro Prezzi et Roland Ehrler, spécialiste des médias (sandroprezzi.ch) et directeur de l’ASA