Stratégie

Ciel, Facebook m’a tue(r) !

Cette chronique fait partie d’une série d’articles élaborés sur la thématique de la marque, que Cominmag a décidé d’explorer sur plusieurs éditions. Cette deuxième édition propose un article de Caroline Perriard* sur le thème des marques et réseaux sociaux et une interview de Marina Klokova sur l’e-réputation, menée par Anca Draganescu

Quand une entreprise décide de se lancer sur les réseaux sociaux, elle ouvre la porte aux commentaires, aux idées et aux critiques de tiers. Elle doit donc accepter le risque de ne plus contrôler entièrement ses messages. C’est là l’essence des réseaux et c’est néanmoins un risque à prendre. Il y a quelques astuces à adopter pour minimiser ce risque d’un point de vue juridique.

Il est bon de considérer l’objectif visé par l’entreprise, qui est généralement d’augmenter la visibilité de sa marque sur Internet et d’accroître son image auprès de son public. Il est donc judicieux de coordonner l’approche avant de lancer sa marque : faire enregistrer le nom de domaine adéquat, créer une page de profil Facebook et YouTube et réserver un pseudo Twitter. Je dirais même qu’il est utile de vérifier, avant de sélectionner une marque, si celle-ci est disponible sur les réseaux sociaux.

Ensuite il convient d’avoir une approche identitaire, c’est-à-dire de créer l’identité digitale de la marque. D’où provient le contenu ? Qu’est-ce que la marque accepte (ou non) de publier sur ses propres pages ? Quel genre d’interaction est souhaité : like, share, post, etc. ? Publier un code de conduite ou d’éthique destiné aux visiteurs de la page permet de justifier le fait d’effacer du contenu, mais aussi de motiver les utilisateurs à partager leurs propres créations sur cette page. En outre, les utilisateurs apprécieront de trouver la référence au site web principal de la marque, le lien vers le service consommateurs et un petit descriptif de l’entreprise. En effet, il convient de créer une histoire pour les visiteurs. Le code de conduite et les indications placées sous un onglet « à propos » permettent donc de donner le « ton » de la page et d’inviter à partager.

Bien sûr, le propriétaire de marque n’est pas le seul à vouloir parler de son produit ou de ses services. Les fans sont les premiers à utiliser les réseaux. Comme le simple commentaire « j’adore ce produit » doit être accompagné de photos, images et autres vidéos pour être attractif, les fans puisent où ils peuvent afin de créer un message qui sera lu et partagé. A quel moment cet usage porte-t-il atteinte à la fonction de la marque ? Quand est-ce que le fan va trop loin et s’approprie du contenu sans droit ? La réponse diffère souvent de cas en cas. Néanmoins, je conseille d’évaluer le dommage sur la marque en se posant des questions telles que « la réputation est-elle en jeu » ou « est-ce que les consommateurs ont l’impression d’entrer en discussion avec le propriétaire de la marque ou son service conso ? » Si les réponses sont affirmatives, il y a lieu d’évaluer les options d’action. Au lieu de bloquer la page du fan, on peut essayer de faire en sorte que la page soit clairement désignée comme celle d’un fan (par un disclaimer visible) ou alors requérir le partage des accès d’administration du site (cela peut se faire via un contact direct entre l’équipe marketing de la marque et le créateur de la page).

Actions possibles
Dans le cas des pages qui portent à confusion, les réseaux sociaux offrent la possibilité de porter plainte en ligne en se basant sur des droits de marque ou des droits d’auteur notamment. Ces cas sont à évaluer à l’interne, en coordonnant les démarches du département juridique, de la communication et du marketing. Je suggère toujours de préparer une réponse marketing (et non légale) si l’action prise tourne mal.

Il convient également d’accepter la réalité qu’Internet regorge de sites et de pages qui ne sont pas toujours adéquats et qui ne plaisent pas aux propriétaires de marque. Néanmoins, ces pages ne seront peut-être jamais vues par les consommateurs de la marque. Il vaut mieux cibler certaines actions que tenter de nettoyer l’Internet de tout « parasite ».Je recommande aussi de rédiger quelques règles internes pour les employés qui auront envie de défendre leur entreprise sur Internet. Il est préférable que seuls certains puissent commenter directement sur les attaques directes contre l’entreprise. Dans tous les cas pourtant, les employés peuvent faire passer des messages positifs, si cela est fait de manière transparente pour les lecteurs.

En résumé, il y a trois questions que l’on peut se poser ;

  • Est-ce que l’entreprise sait ce qu’elle veut faire en communicant sur les réseaux sociaux, notamment est-elle ouverte aux critiques et prête à engager la conversation avec les fans ?
  • A-t-elle prévu un code éthique pour les fans et pour les employés ?
  • Dans le cas d’usage non autorisé de la marque, quel est l’intérêt réel de l’entreprise à bloquer certaines pages ?

Bien sûr, tout cela nécessite des ressources de temps et d’argent, afin de produire du contenu attractif, de modérer la page et d’avoir conscience de ce qui se dit sur la marque en ligne.

*Caroline Perriard, conseil juridique en entreprise, spécialisée en IP et dans les questions de droit liées à Internet (marketing digital, e-commerce, communication)

[ASIDE]

Comment soigner sa e-reputation ?

Quelles sont les problématiques et les solutions associées à la gestion de l’e-réputation des entreprises, marques et personnes physiques ? Marina Klokova, responsable de la communication et experte en « due diligence » chez Global Risk Profile (GRP) répond à ces questions sous l’angle de la diligence raisonnable.

Avant le web, les marques pouvaient également être mises en danger. Qu’est-ce qui a changé ?
Les risques qu’encourt l’e-réputation ne sont effectivement pas nouveaux et ils concordent avec les risques que court la réputation de manière générale. Avec la transposition des problématiques sur Internet, les probabilités que ces risques se matérialisent et s’étendent géographiquement ont toutefois augmenté.
La réputation, en somme, est la perception que se font les autres d’une entreprise, d’une marque, ou d’une personne. L’e-réputation est cette même perception, mais à partir de contenu Internet.
Au début de l’Internet, le contrôle des marques était absolu sur cette vitrine, que ce soit pour le message transmis ou les canaux de distribution utilisés. Les internautes d’alors ne pouvaient pas influencer le contenu du message. Avec l’avent des forums de discussion et autres médias sociaux, les internautes peuvent donner leur avis, qu’il plaise ou non aux marques. Il n’y a qu’à voir le succès que rencontrent des sites tels que Tripadvisor, qui font et défont la réputation de nombreux lieux d’hébergement – les internautes leur font d’ailleurs parfois plus confiance qu’aux voyagistes…

Veille et réactivité vont donc de paire ?
Même s’il est vrai que le buzz négatif prend souvent le dessus sur le buzz positif (Greenpeace sont d’ailleurs très forts à ce jeu), il faut toutefois remarquer qu’il est parfois facile de tomber dans la paranoïa en ce qui concerne sa réputation online. Un seul commentaire négatif ne ternit pas une bonne réputation en un clin d’œil et tout avis négatif ne crée par forcément un buzz.
L’important pour les marques est de garder une vigilance élevée par rapport à ce qui se dit sur elles – en effet, de part la forme de partage des réseaux sociaux, l’information se diffuse de manière exponentielle (on parle alors d’effet « boule de neige »). D’où l’importance de réagir rapidement en cas d’atteinte potentielle à la e-réputation. Ainsi, veille et réactivité vont de pair afin de garder une réputation sous contrôle sur Internet.

Les marques génériques sont-elles très difficiles à surveiller ?
Il est aussi intéressant de s’arrêter un moment sur la question de la distinctivité des marques. En effet, une veille portant sur une marque non-distinctive sera quasi-impossible à gérer, de part la multitude des résultats sortant constamment. Prenez par exemple la bière romande Boxer. Une veille de réputation online recueillera aussi bien des informations sur les chiens boxers que sur les joueurs de boxe, sans mentionner les caleçons de type boxer… On le voit, afin de bien pouvoir gérer sa réputation online et répondre avec réactivité à toute menace naissante, il faut choisir une marque distinctive.

Quid de la Due Diligence et de l’e-réputation ?
Pour ce qui est de nos rapports de Due Diligence, nos recherches se font en ligne sur les open sources à travers lesquelles nos analystes se font une idée de l’e-réputation des sujets identifiés. Bien que nous ne nous prononcions pas directement sur l’e-réputation de l’objet de nos recherches (entreprise, marque ou personne physique), nos analystes fournissent au commanditaire tous les éléments nécessaires pour s’en faire une idée. L’e-réputation, qui ressort de l’ensemble des informations accessibles sur Internet sur le sujet, est donc au cœur de notre métier.
Le rapport final que nous délivrons à notre client est comparable à un état des lieux rassemblant toutes les informations disponibles sur le sujet à un moment t. Cette entité peut être l’entreprise elle-même ou l’une des parties tierces à laquelle elle aurait affaire (ex. : partenaire, sous-traitant, entité faisant l’objet d’un éventuel rachat, membre du personnel, prospect, client, etc.) Autrement dit, nos rapports réunissent les éléments nécessaires permettant de se positionner face au sujet de la recherche et d’agir en conséquence.
Par exemple, si le client commande une recherche le concernant, il se basera sur les résultats obtenus pour, dans un premier temps, évaluer sa propre réputation, identifier les risques qui en découlent et établir un plan d’action (si besoin est) par la suite. En se renseignant sur son cocontractant, il se prémunira des risques (y compris réputationnels) qu’une éventuelle collaboration pourrait engendrer. Et l’on n’y pense peut-être pas assez, mais la diligence raisonnable est clairement un élément essentiel afin de se prémunir de mauvaises surprises quant à son e-réputation ainsi que celles des entités liées (cocontractants ou partenaires, par exemple) qui pourraient contaminer votre marque à terme.

Pouvez-vous partager quelques bonnes pratiques ?
Je citerais quelques actions complémentaires pour maintenir son e-réputation au beau fixe :

  • Mettre en place une politique de gestion de l’e-réputation dès le départ (car rien ne disparaît sur Internet : cache de Google, autres archives)
  • Faire régulièrement de la veille pour savoir ce qu’il se dit sur sa marque et/ou son entreprise, anticiper les problèmes et, à défaut, réagir à temps. Chaque seconde compte à l’ère du Web 2.0 où l’information se diffuse de manière exponentielle.
  • Non seulement surveiller sa propre réputation mais également vérifier celle de ses cocontractants (parties tierces impliquées de près ou de loin dans une relation d’affaires). La réputation de ceux-ci représente un facteur de risque supplémentaire qui, lorsqu’il se matérialise, peut avoir un impact considérable sur tous les membres du réseau. Le cas Findus en est l’illustration parfaite : le géant agro-alimentaire ne s’est pas suffisamment renseigné sur son fournisseur, ce qui lui a valu d’être à l’épicentre d’un scandale médiatique entraînant des dommages réputationnels incommensurables et une perte réelle de chiffre d’affaires.
  • Etre à la fois réactif (en cas de problème par exemple) et proactif en terme de communication sur Internet : occuper intelligemment l’espace en créant un site Internet (vitrine numérique de l’entreprise), en investissant divers réseaux sociaux et en y diffusant du contenu de marque, en centralisant les noms de domaines, etc. Une exposition Internet inexistante ou impertinente éveille la méfiance des internautes.
  • Se tenir à jour des nouvelles technologies pour être en mesure de repérer d’éventuels risques ou problèmes

Si une atteinte à la réputation est détectée sur Internet, en aucun cas il ne faudrait essayer de supprimer l’information ou de la cacher. Au contraire, une bonne gestion de la réputation online implique, on l’a vu, une réponse rapide et adéquate. Une réponse rapide, même s’il s’agit de reconnaître une erreur ou de s’excuser, évitera que l’attaque à la réputation online ne dégénère complètement et ne prenne des proportions énormes, entraînant des dégâts d’image très importants. C’est pourquoi l’utilisation d’une charte de conduite sur les réseaux sociaux sera un outil très utile afin de gérer intelligemment ce qui s’y dit, sans toutefois appliquer de censure.

Signature : Anca Draganescu
[/ASIDE]

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