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Une nouvelle Chine, l’Afrique ?

Dans les premières décennies du vingtième siècle, un petit cercle d’artistes européens de premier plan se passionne pour les trésors de l’art africain : masques et statuettes circulent dans les milieux culturels français. Picasso peint « Les demoiselles d’Avignon », véritable hymne à l’« art nègre ». L’Afrique se voit dépossédée d’une part significative de son patrimoine. Plus tard, les artistes africains tenteront pathétiquement, en copiant Picasso, de se le réapproprier.

Mais aujourd’hui, l’Afrique démontre sa capacité à se reprendre en main. C’est en tout cas le postulat d’« Ici l’Afrique », l’exposition organisée par Adelina von Fürstenberg. Une certaine réserve s’impose cependant : parmi les 24 artistes réunis, beaucoup vivent ou ont vécu à l’étranger, où ils ont parfois été formés et où ils ont souvent assimilé les codes de l’art contemporain, à l’instar des artistes chinois promus superstars il y a quelques années (et aujourd’hui en perte de vitesse). Frédéric Bruly Bouabré (Côte d’Ivoire), J.D.’Okhai Ojeikere (Nigéria) et Edson Chagas (Angola) ont fait sensation à la dernière Biennale de Venise. Les deux premiers sont décédés cette année : cette exposition leur rend hommage. Les œuvres de Bouabré, profondément ancrées dans la culture bété, transmettent sans détours et avec une grande poésie les légendes de son peuple par le dessin et l’écriture. Ojeikere a photographié plus de mille coiffes nigérianes, sublimant en noir et blanc ces sculptures aussi vivantes qu’éphémères. Malick Sidibé, formé très jeune par un photographe européen, s’est fait remarquer par une série de clichés sur la culture populaire des années 1960 à Bamako (et a également eu droit aux honneurs vénitiens en 2007). Chéri Samba est probablement l’artiste le plus connu de cette « dream team ». Proche de la bande-dessinée, sa peinture témoigne avec une spontanéité très communicative de la vie en Afrique et dans le monde moderne.

Et puis, il y a Yinka Shonibare (Nigéria), né à Londres, où il a remporté un succès considérable dans la mouvance des Young British Artists. Son travail a beau explorer le colonialisme et le post-colonialisme, est-il vraiment africain ? Comment seraient reçues aujourd’hui ses installations mêlant humoristiquement tissus traditionnels et symboles occidentaux par le public nigérian lui-même ? Pour qui, en d’autres termes, est-ce « ici » l’Afrique, si ce n’est peut-être pour des Occidentaux toujours aussi friands de nouvelles histoires ? Mais finalement, être Africain c’est peut-être, pour une nouvelle génération d’artistes, passer par les clichés pour mieux s’engager dans une relecture de l’histoire qui en est elle-même parsemée. A l’image de Romuald Hazoumé, connu pour ses « masques », une série dans laquelle il modifie des rebuts de jerricans en plastique et d’autres matériaux pour leur donner l’apparence de visages. Un travail qui, en plus de sa remarquable expressivité, a l’avantage de boucler avec humour la boucle des échanges symboliques entre l’Afrique et l’Occident.

Exposition « Ici l’Afrique » : Château de Penthes (quartier des Nations Unies) à Genève, du 8 mai au 6 juillet

Huber Gauthier

Journaliste culturel, écrit notamment pour le Kunst-Bulletin et Artpresss

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