San Francisco: Craig en tête de liste
Fraîchement débarqué à San Francisco au début des années 90, Craig Newmark cherche une manière originale pour dynamiser un peu sa vie sociale et connaître les bonnes soirées de San Francisco. En 1995, il se décide ainsi à envoyer une newsletter hebdomadaire à ses proches et, en regard de l’intérêt croissant, décide, un an plus tard, de migrer le contenu sur un site web. La liste de Craig s’étoffe et se répand de manière exponentielle au point de devenir, en quelques mois, un portail pour petites annonces plébiscité par la majorité des habitants de la baie. On trouve absolument tout sur Craigslist et il suffit de faire un petit tour dans la section « best of » pour avoir un aperçu de la diversité et de l’extravagance des annonces. Avec ces 20 milliards de pages vues par mois, le site fait actuellement partie du top 10 des sites en anglais les plus visités et on compte près de 50 millions d’utilisateurs uniquement pour les États-Unis. Un plébiscite qui ne cesse de s’étendre, puisque les déclinaisons locales se répandent à une vitesse particulièrement rapide. Début 2011, on comptait déjà près de 700 sites régionaux, répartis dans plus de 70 pays. L’ensemble du projet est financé majoritairement grâce aux annonces d’emplois payantes. Le réseau aurait d’ores et déjà permis à plus de 100 millions d’Américains d’entrer en contact.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une organisation sans profit (une partie de la société appartenant d’ailleurs à eBay), Craigslist affiche une certaine nonchalance en matière de rentabilité. L’actuel CEO, Jim Buckmaster, a même été quelquefois décrit comme un anticapitaliste. Il se défend de ses accusations en avouant simplement que Craigslist étant « une affaire solide, il a été possible de décider très tôt de ne pas chercher à devenir indignement riche ». Ce positionnement résolument désintéressé constitue un facteur déterminant pour la légitimité du site et a contribué à maintenir le caractère exceptionnellement convivial de cette plateforme. Craig Newmark avoue qu’il continue à faire du service-client durant ses heures de bureau.
À bien des égards, cet état d’esprit perpétue la philosophie qui guidait les premiers échanges qui se sont tissés vers le milieu des années 80 sur le réseau WELL. Ce protoweb social est largement peuplé de geeks de tous poils, généralement rescapés des diverses expériences communautaires qui ont pris place dans la baie tout au long des années 70. On y rencontre le légendaire Stewart Brand, les fondateurs de l’EFF ou encore Howard Rheingold qui a largement participé à populariser la métaphore des communautés virtuelles avec la sortie de son ouvrage homonyme en 1993. Selon lui, il s’agissait de lieux dans le cyberespace où des personnes peuvent entamer des conversations comme elles pourraient le faire dans un café, chez le coiffeur ou dans une salle d’attente. Évoquant ces nouvelles formes de socialités, Rheingold remarquait que les communautés virtuelles permettaient d’accéder directement à l’endroit où s’opéraient des discussions sur un projet précis. Ainsi, « il est toujours possible de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes passions ou les mêmes intérêts que vous. Dans cet esprit, le topic s’apparente à une adresse : il est possible de simplement prendre son téléphone pour entrer en contact avec un amateur de vins californien ou le propriétaire d’une voiture de collection ».
En invitant des usagers à entrer en contact en fonction d’intérêts communs, c’est sans conteste cette même philosophie d’affinités électives que Craigslist continue à insuffler sur le web. Design spartiate, gratuité et activisme communautaire, la persistance de cette vision originelle propose une oasis d’idéalisme vaguement désuet. Récemment Craig Newmark, qui avoue être un nerd irrécupérable, à lancé un nouveau projet intitulé craigconnects dont la devise est: « Connecting the World for the Common Good ».
Joël Vacheron
http://geo.craigslist.org/iso/ch