Du plomb et des plumes
Un samedi après-midi de novembre. Je branche la radio. La Première. L’émission «De quoi je me mêle» propose un reportage sur «Le Courrier», «un des derniers journaux indépendants en Suisse romande…». Décidément, en cette fin d’année, la presse romande tourne en rond. On se remet des Prix, on s’organise des colloques, des assises, on se fait des reportages parmi… Et moi avec puisque c’est la deuxième chronique où je laisse l’art au deuxième plan pour parler journaux… Et toujours cette question de l’indépendance qui revient. Comme un besoin de se redéfinir peut-être…
Anne Nivat, elle, n’en a visiblement pas besoin. «Je fais ce que j’ai à faire». C’est ce qu’elle répond aux mises en garde du Quai d’Orsay quand elle part pour de longs reportages dans des pays en guerre. Tchétchénie, Afghanistan, Irak. «Je fais mon travail, et si je devais me faire enlever, vous ferez le vôtre…». Anne Nivat était invitée au Forum sur l’indépendance des médias organisé en prémices de l’Académie du Journalisme et des médias, à l’Université de Neuchâtel. L’indépendance, elle la cultive. Journaliste free-lance, elle enquête hors des voyages organisés par les gouvernements, les armées… Ce sont les réalités des populations qui l’intéressent. Elle prend le temps.
Le temps, le terrain, la subtilité… Tiens, c’est un peu ce que déféndait la nouvelle agence d’investigation américaine financée par des philanthropes dont je parlais le mois dernier. Au Forum neuchâtelois, cela a aussi été le credo de Roger de Weck. L’ancien rédacteur en chef du «Tagesanzeiger» et de «Die Zeit» a commencé sa conférence en déclarant que «le grand art aujourd’hui, c’est de faire du journalisme malgré les médias.» Lui aussi trouve que nous tournons en rond. Que nous nous réduisons à être les «content providers» les uns des autres…
Et il ne suffit pas pour s’en sortir d’agrandir la ronde et de demander aux lecteurs, aux spectateurs, aux internautes… de faire le travail à notre place, en leur suggérant d’être les reporters du XXIe siècle, prêts à filmer tous les faits divers de la planète avec leur téléphone mobile! Ce peut être un plus. Parfois. Ce n’est pas une solution. Il faudrait sortir de la ronde, quitter ses semelles de plomb, retrouver ses ailes. Faire, comme Anne Nivat, ce qu’on a à faire…
Eh oui, il y a toujours des histoires de plomb et de plumes dans le journalisme! A chacun, côté journaliste et côté lecteur, de voir ce qui le leste ou ce qui lui pèse, ce qui l’allège ou ce qui le vide… Ce qui est substance et ce qui est encombrement.
Et ce qui est vrai pour les reporters tels qu’Anne Nivat l’est pour toute forme et tout domaine journalistiques. Y compris culturel puisqu’on est dans la chronique com.Art. Faire du journalisme culturel, c’est fréquenter la culture. Voir, visiter, écouter, lire… Se nourrir, se lester. Pour mieux s’envoler. Il est aussi nécessaire de le rappeler.
Bon voyage en 2008, sans plomb dans l’aile.