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Éloge des « freelances »

Il est free, il a tout compris. Enfin, disons plutôt qu’il pense avoir tout compris, car il ne s’appelle pas Rodolphe et ne joue pas dans une pub Free. Non, il est free comme freelance.

Il se sent libre depuis qu’il a quitté son agence, qui lui a fait un grand numéro dans le registre « Tu es irremplaçable, que va-t-on devenir sans toi ? » pour essayer de le retenir. Mais il a été fort, il est resté sourd aux supplications de son patron et maintenant il est son propre boss. Finis les compromis, les bouses de dernière minute, à lui les idées qui déchirent, les concepts qui vont rendre verts de jalousie ses copains restés salariés. Passée l’excitation des premiers instants, la réalité de sa nouvelle condition l’oblige à se rendre à l’évidence : la liberté a un prix, qui s’appelle solitude.

Quand on est free, on est seul et on doit donc tout faire tout seul : la création (bon d’accord c’était déjà le cas en agence), la prospection (ça, c’est nouveau, c’étaient les commerciaux qui s’en chargeaient dans son ancienne vie), la comptabilité (ça aussi, c’est nouveau), l’administration (sécurité sociale, retraite et j’en passe), le suivi client… En clair, on devient une sorte de Rémi Bricka de la pub, un homme-orchestre de la réclame.

Pommecul (Pomme Q pour les initiés du Mac qui connaissent le fameux raccourci clavier pour quitter un dossier) est une bande-dessinée très drôle qui déroule sous forme de sketches la vie d’un directeur artistique freelance. Il a fait Pomme Q sur son ancienne agence et, par moments, on a bien le sentiment qu’il aimerait faire Pomme Z (soit revenir à la version précédente, pour ceux qui ne maitrisent pas un autre fameux raccourci clavier du Mac) et retrouver sa vie d’avant quand il était LE directeur artistique de l’agence.

Cette BD fait apparemment suite à un premier tome où le directeur artistique racontait ses aventures en agence. Je ne l’ai pas lue, mais je l’imagine aisément aussi drôle que cette suite, tant le monde des agences de pub et des créatifs d’agence se prête au pastiche. Plus sérieusement, ce deuxième opus reflète l’évolution de la profession, qui voit de plus en plus de concepteurs-rédacteurs, de directeurs artistiques mais aussi de directeurs de création se mettre à leur compte, que cette nouvelle condition soit choisie (comme le héros de Pommecul) ou subie.

En même temps, ces freelances jouent un rôle non négligeable dans le système des agences : ils prennent en charge les compétitions de dernière minute, les briefs sur lesquels les créatifs d’agence se sont arrachés les cheveux pendant des semaines sans arriver à vendre le début du commencement d’une idée. On les appelle les pompiers de service, car ils sont presque aussi rapides que le 18, intervenant jour et nuit (mais surtout les week-ends et jours fériés) pour apporter des idées neuves et fraîches qui permettront à l’agence de sauver la face devant son client. À ces héros anonymes, à ces mercenaires du concept, à ces créatifs qui ne connaitront jamais les joies du tournage de leurs idées (si ce sont des films), à ces sauveurs qu’on est plus prompt à féliciter qu’à payer (« Je suis désolée, le responsable de la comptabilité n’est pas à son bureau, rappelez plus tard »), à ces hommes et ces femmes qui ont choisi une forme de liberté courageuse, il manquait un livre d’hommage. Cette injustice est réparée avec ce petit livre au format carré de Pierre Buzulier.

Pommecul, de Pierre Buzulier, est publié aux éditions Pyramyd

[ASIDE]

Un peu plus sur l’auteur

Pierre Buzulier est un directeur artistique né au Havre en 1984. Après une dizaine d’années d’expérience en agence, il crée un blog intitulé pommecul relatant les déboires d’un créatif dans le monde de la publicité. L’adaptation de ce blog en BD est un succès. Depuis Pierre Buzulier est devenu graphiste indépendant et travaille pour de nombreux clients (médias, industries, etc.).

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