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Don Juan ou Pavlov ?

En 1987, Claude Bonnange et Chantal Thomas (non, ce n’est pas la créatrice de lingerie dont le patronyme prend deux « s ») publiaient un essai sur la communication publicitaire intitulé Don Juan ou Pavlov. Pourquoi vouloir écrire aujourd’hui sur un livre qui aura bientôt 30 ans, qui a été rédigé à une époque où Internet et le téléphone portable relevaient de la science-fiction ? Tout simplement parce que ce livre reste étonnant d’actualité. Et ce n’est pas une mince prouesse.

Les étagères de ceux qui s’intéressent à la pub sont remplis de livres qu’ils ne reliront jamais (si tant est qu’ils les aient lus un jour) parce que les données sur lesquelles ils s’appuient sont obsolètes et que leur vision des choses est au mieux désuète, au pire ridicule. En fait, les seuls ouvrages de pub qui résistent bien au temps sont les mémoires, les souvenirs de quelques grandes figures du métier. Les Bleustein-Blanchet et autres Ogilvy sont de véritables personnages de roman et la lecture de leurs aventures est captivante. Mais les ouvrages sur les théories publicitaires ne tiennent généralement pas la distance.

Des théoriciens, la publicité en a connu des dizaines à l’instar des Starch, Hepner, Festinger, Krugman, Aronson ou encore Bem. Leurs noms sont tombés dans l’oubli aussi vite que les modèles qu’ils avaient imaginés. Ces derniers se basaient sur un comportement logique du consommateur et avaient pour nom apprentissage, dissonance cognitive ou encore implication minimale selon le type de produit acheté (lessive, déodorant ou voiture). Ils consistaient en des combinaisons des fameux LEARN, LIKE, DO. Tout cela était logique, bien trop logique pour être vrai.

Pour sortir de cette impasse, il fallait se tourner comme l’ont fait Bonnange et Thomas vers les importants travaux de Paul Watzlawick au sein de l’école de Palo Alto. Watzlawick n’était pas publicitaire mais tout à la fois psychologue, psychothérapeute et psychanalyste. Ce qu’il a écrit sur la communication (au sens large) se révèle d’une grande richesse pour mieux comprendre la publicité. Quand il parle des deux composantes de toute communication que sont le contenu et la relation, il est difficile de ne pas faire un parallèle avec le produit et la marque, le contenu étant le discours sur le produit tandis que la marque cherche à établir une relation forte et durable avec le consommateur. Il explique également que tout échange de communication est symétrique ou complémentaire selon qu’il se fonde sur l’égalité ou la différence. Là aussi, si l’on ramène cela à la communication publicitaire, on voit que les marques peuvent adopter différents positionnements : expert (relation complémentaire) ou complice (relation symétrique).

Enfin, Watzlawick énonce que la nature et la durée d’une relation dépendent de la ponctuation des séquences de communication, ponctuer les échanges signifiant relancer les échanges de manière à ce qu’ils se prolongent harmonieusement. La façon dont une marque s’inscrit durablement dans la vie des consommateurs en est la traduction publicitaire. On le voit, les axiomes qui, selon Watzlawick, définissent la communication se révèlent de formidables outils pour comprendre la publicité et élaborer une robuste stratégie de marque. Claude Bonnange et Chantal Thomas nous l’expliquent avec brio dans ce petit livre qui n’a pas pris une ride et nous donnent quelques conseils pour être créatif avant la création. Les créatifs d’agence qui se plaignent souvent de la pauvreté des briefs apprécieront.

Don Juan ou Pallov, Essai sur la communication publicitaire de Claude Bonnange et Chantal Thomas, est publié aux éditions du Seuil dans la collection Points.

[ASIDE]

Deux pointures d’auteurs

Pour ceux qui ne le connaitraient pas, Claude Bonnange a été l’un des fondateurs, avec l’américain William Tragos, le suisse Uli Wiesendanger et l’italien Paolo Arjoldi, de l’agence TBWA, grande agence créative des années 70 et 80. Il a enseigné à l’Institut des sciences politiques et a été président du CESP (Centre d’Etude des Supports de Publicité). Chantal Thomas, directrice de recherche au CNRS, est l’auteur d’ouvrages sur Sade, Casanova, Marie-Antoinette et Thomas Bernhardt. Elle a obtenu le prix Femina en 2002 pour son premier roman Les adieux à la reine. Don Juan ou Pavlov a exercé une influence notable sur de nombreux stratèges publicitaires, dont Paul Feldwick qui cite l’ouvrage dans son remarquable The Anatomy of Humbug (livre auquel j’ai consacré il y a un an une chronique dans ComInmag). [/ASIDE]

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