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Livre du mois : « Instamatics »

Jean-FrançoisFournonNB-307x307Ce ne sont pas les Antonio Lopez qui manquent, du défenseur international de Benidorm au principal représentant de l’hyperréalisme en Europe en passant par tous les Antonio Lopez anonymes que vous pouvez croiser dans la vie (j’en ai moi-même connu un, talentueux rédacteur publicitaire, à l’époque où je travaillais à Genève). Celui dont je voudrais vous parler aujourd’hui a exercé ses talents d’illustrateur de mode aux Etats-Unis et en Europe au cours des années 60/70 avant de mourir prématurément en 1987.

A l’époque, l’illustration était sur le déclin, les grands dessinateurs du milieu du XXe siècle avaient tiré leur révérence et laissé la place à d’ambitieux photographes et seuls René Gruau (souvenez-vous de ses célébrissimes publicités pour Dior) et Antonio Lopez résistaient. Antonio faisait d’ailleurs mieux que résister puisque ses croquis de mode étaient publiés par les plus grands magazines de mode. Karl Lagerfeld tenait d’ailleurs tellement à l’avoir près de lui qu’il lui prêta pendant plusieurs années un appartement à Paris, profitant du talent protéiforme du dessinateur. Car Antonio Lopez ne se contentait pas de dessiner, il découvrait des mannequins (Jerry Hall), des actrices (Jessica Lange) et s’amusait beaucoup avec son Kodak Instamatic. L’un des mérites de ce beau livre publié par Palm Twin Publishers est de nous montrer une facette inédite de son travail, facette d’autant plus passionnante que ces photos n’étaient pas un travail de commande et qu’on ressent la grande liberté de l’artiste.

Elles nous montrent une période où la mode ne se prenait pas (encore) au sérieux, où la fantaisie, l’improvisation, l’absurde, la provocation régnaient en maîtres. Le sida n’avait pas encore fait ses ravages, les corps étaient libres, l’érotisme joyeux, tout était prétexte au jeu (une baignoire, des rubans, un voilage) et les célébrités restaient accessibles…  ou n’étaient pas encore célèbres. Ces photos nous révèlent surtout qu’Antonio Lopez était aussi un grand photographe : que d’inventivité dans ces petites photos au format carré qui forment des séries et nous racontent des histoires courtes. On est tenté de faire un parallèle avec Guy Bourdin, pour l’humour avec lequel les corps sont souvent maltraités et le côté graphique, parfois épuré et très posé de certains clichés. Antonio Lopez agit en marionnettiste qui anime les corps de ses sujets à sa guise. La modernité de certaines photos est frappante.

Par ailleurs et de façon plus anecdotique, ‘Animatics’ nous donne un aperçu de la vie du monde de la mode, de Saint Laurent toujours élégant et sérieux à Lagerfeld en body moulant à la plage ou en T-shirt sous la douche. Les photos d’Antonio Lopez étaient toujours faites avec un appareil bas de gamme, il se chargeait lui-même du maquillage ou faisait appel à un ami comme Way Bandy, le magicien des fards à paupières et du fond de teint dont Richard Avedon et Francesco Scavullo s’arrachaient les services et qui acceptait de travailler gratuitement la nuit avec Antonio. Toute une époque, je vous dis.

‘Instamatics’ d’Antonio Lopez est publié par Twin Palms Publishers (twinpalms.com)

 

Antonio Lopez
La légende veut qu’Antonio Lopez ait commencé à dessiner des robes à l’âge de deux ans, pour sa mère. Né à Porto Rico en 1943, il émigre avec sa famille à New York et suit les cours du Fashion Institute of Technology. Au cours de sa brève carrière, il a collaboré avec Elle, Harper’s Bazaar, Vogue et Interview, le mythique magazine d’Andy Warhol et Gerard Malanga. Il exerça une grande influence sur Karl Lagerfeld pendant les quelques années passées à Paris au début des années 70. Il est considéré comme l’un des plus grands illustrateurs du XXème siècle. ‘Instamatics’ permet de découvrir son œuvre photographique, beaucoup des clichés reproduits n’ayant jamais été montrés au public. Il n’est pas exagéré de penser que si Antonio Lopez n’avait pas été reconnu pour ses dessins de mode, il l’aurait vraisemblablement été tôt ou tard pour ses photos.

 

 

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