La Suisse a un style propre sur le Web
Interview Bruno Guglielminetti, directeur Communication numérique et Information stratégique au Cabinet de relations publiques National (Québec). Avec son expérience dans le monde numérique, Bruno Guglielminetti est un pionnier de l’Internet au Canada, il a vu l’évolution de cet environnement depuis 1994 et observe encore aujourd’hui les diverses tendances. Et à titre d’ex-réalisateur de Radio-Canada pendant 23 ans, il sait raconter une histoire.
Parallèlement à ses activités de chroniqueur techno à Radio-Canada, il a fait un passage dans la presse écrite : La Presse, Le Devoir.
En 2003, il a reçu le Prix du Communicateur de l’année décerné par l’Association internationale des Professionnels de la Communication et en 2004, l’OQLF lui a remis le Mérite de la langue française dans le domaine des nouvelles technologies. En 2009, il recevait le prix d’Excellence dans le journalisme scientifique et technique de la Canadian Advanced Technology Alliance à Ottawa. Et Il a modéré le 3e Meilleur du Web à Genève.
Après la création des sites, le développement du e-commerce, l’avènement des réseaux sociaux, voici que nous entrons dans une nouvelle ère symbolisée par le mobile et les objets connectés. Cela présuppose de nouveaux défis pour les entreprises, or ces dernières n’ont souvent pas encore digéré le web 2.0. Comment toutes ces technologies vont-elles pouvoir coexister ?
– Le plus gros défi c’est précisément la cohabitation de tous ces supports. Depuis que les nouvelles technologies sont arrivées dans la vie des entreprises, la bagarre de l’espace média a commencé. Or que constate-t-on ? Les Google ou Facebook ads n’ont détrôné nulle part la publicité traditionnelle. L’écosystème média s’est simplement agrandi. Et la question n’est plus tant de savoir si l’on doit aller sur le web ou en télévision ou en presse mais de choisir le bon message pour le bon média. Or, tous ces médias n’ont pas le même rythme…
Des secteurs, hier prospères, sont en grande difficulté. L’économie numérique ne semble profiter qu’à de grands groupes (Google, Amazon,etc..) ou à des mini-entrepreneurs. Une chance ou une menace pour l’économie ?
-Je suis très sensible à cette question en tant qu’habitant du Québec. Chez-nous les commerçants tardent à prendre le virage du e-commerce. Résultat, l’argent s’en va à l’extérieur du pays vers des sites commerciaux américains, européens ou asiatiques. Il est donc essentiel pour une économie d’un pays d’être présent sur la Toile.
Mais une fois que l’on a fait ce pas, ce la ne suffit pas. Il faut être compétitif par rapport au reste de l’offre online. Je reste confiant pour les marques historiques, car je suis persuadé que l’expérience et la fidélisation du client demeurent leur meilleur gage. Le client préférera toujours une marque qu’il connaît, en qui il a confiance, au moment d’opter pour une plateforme numérique.
Il en va de même dans le contexte du B2B. L’expérience et la traçabilité sont des éléments déterminants. Raison pour laquelle, il ne faut pas tarder.
Que pensez-vous du modèle d’affaires de La Presse qui fait le pari de la gratuité pour sa version iPad parallèlement au modèle payant du print. La seule voie pour les entreprises média ?
– Ce n’est pas l’unique voie, mais dans le contexte de La Presse, dont l’éditeur Gesca est convaincu dans une génération ou deux les lecteurs ne liront les médias sur des supports numériques, c’était certainement la meilleure réponse. La gratuité va favoriser le passage du print au web. Et à la clé une économie de 40 millions de dollars canadiens, coût de l’impression. Evidemment ce modèle d’affaires repose intégralement sur les revenus publicitaires.
Ce modèle se rapproche de celui d’Apple (musique et édition). D’ailleurs, il y a eu des contacts entre les dirigeants de Cuppertino et Gesca. L’idée étant de bouleverser complètement l’industrie de la presse.
Concrètement comment cela fonctionne-t-il ?
– Il y a une salle de presse traditionnelle et une numérique qui bonifie constamment les articles ou en crée d’autres qui ne paraitront que sur les tablettes. Seule différence avec les sites de news c’est qu’il y a un bouclage, autrement une édition en ligne quotidienne. Ce qui est assez agréable pour le e-lecteur que je suis.
Autre secteur mis sous pression par le web : la distribution. Croyez-vous que le développement des paiements via des paiements électroniques sécurisés (e-wallet) soit par scannage d’étiquette ou puces est la solution pour garder le public ou doit-on réinventer le magasin et proposer sur de nouvelles expériences ?
– Au Canada, cela fait très longtemps que l’on utilise le système INTERAC, carte de débit. Nous avons toujours été à la pointe du paiement dématérialisé. Pour nous, le e-wallet n’est qu’une évolution. Je ne crois pas que cela va changer l’expérience client mais cela sera certainement un élément différenciateur pour les commerçants.
Suite aux révélations des écoutes de la NSA, le thème des écoutes inquiète en Europe. Il fait ressurgir la question du stockage, du contrôle et du traitement des données. En va-t-il de même au Québec ?
– Le stockage des données évolue très vite. L’époque des disquettes et bientôt des clés USB semble bien lointaine. Le stockage se dématérialise (Cloud) ce qui pose la notion de la souveraineté de l’information
Au Québec, Radio Canada (équivalent de la RTS) a confié la gestion de son courrier électronique à Google. Or, les serveurs de Google sont aux Etats-Unis. Quid de l’accès et du contrôle futur de l’information ? Personne ne le sait puisque ces données sont désormais sous législation américaine !
Qu’elle est pour vous la campagne digitale la plus efficace du moment ?
– La campagne de McDonald’s Canada. L’idée était de permettre aux internautes de poser des questions sur la fabrication des aliments de cette chaîne de restauration rapide. 19’000 questions ont été postées. McDonald’s a répondu soit par texte, photos ou vidéos, en français et anglais. On ainsi pu suivre le trajet d’une frite du champs à l’assiette, découvrir si les hamburgers que l’on voit sur les publicités sont redessinés ou non sur Photoshop, etc..
Cette opération a rencontré tel succès que d’autres succursales McDonald’s ont repris ce concept de communication de par le monde.
Les tensions entre le Canada anglophone et francophone se retrouvent-elles sur le web ?
– Oui. Compte tenu de l’équilibre numérique, il a quantitativement plus de contenu anglophone mais les francophones se défendent bien grâce à la francophonie.
Pourquoi l’événement le Meilleur du Web vous intéresse ?
– Je suis l’internet francophone depuis 1994. La Suisse a toujours été un mystère pour moi. Comment faites-vous pour cohabiter avec 3 langues ? J’ai toujours senti votre différence à travers vos sites. Vous avez une façon qui vous est propre de présenter du contenu, des images, des histoires. Depuis quelque temps, j’ai l’impression qu’une nouvelle génération de créateurs sur le web, les réseaux sociaux ou le mobile émerge. Cela m’intéresse. C’est pour les rencontrer que j’ai accepté de venir à Genève modérer cette remise des prix.