Interviews

Le client a toujours raison, mais…

UNE AGENCE, UN JOUR : Bonbon à Zurich

La Zurichoise Valeria Bonin et le Genevois Diego Bontognali se sont associés il y a plus d’une dizaine d’années à Zurich, sous l’amusant diminutif Bonbon. Calmes et attentifs, ils n’ont pas tardé à développer de fidèles collaborations. Identités visuelles, affiches, revues, catalogues d’exposition ou monographies d’artistes, leurs champs d’activité sont diversifiés, même s’ils restent encore principalement centrés sur les milieux culturels. En 2014, ils ont remporté la Lettre d’Or lors de la Foire du livre de Leipzig. Cette distinction, la plus importante octroyée dans le monde de l’édition, leur a offert une opportunité unique pour diffuser la efficace sobriété de leur approche.

Diego Bontognali, comment avez-vous entamé cette collaboration ?
Nous avons étudié à la Zürcher Hochschule des Künste (Zhdk), où nous avons réalisé notre projet de diplôme ensemble. Nous avons d’emblée décidé de nous mettre à notre compte, même si j’ai travaillé en partie pour le Schauspielhaus, le théâtre de la ville de Zürich. Après une année, je me suis dit que je pouvais aussi très bien faire ça tout seul et nous avons commencé à collaborer sérieusement vers 2002.

Après avoir grandi à Genève, pourquoi avoir choisi d’aller étudier à Zürich ?
Cela est dû en grande partie à mon éducation : dans ma famille, l’apprentissage des langues a toujours été privilégié. De plus, ma sœur avait fait ses études en arts déco à Genève et elle n’était pas très satisfaite. Il était donc hors de question que j’y étudie et Lausanne ne m’avait pas plu du tout, ce qui est assez paradoxal puisque j’y enseigne actuellement. J’ai suivi le conseil paternel, selon lequel si je partais de Genève, il fallait mieux d’aller dans un endroit où l’on parle une autre langue. J’avais le choix entre Bâle et Zürich, j’ai choisi Zürich et je n’en suis jamais reparti.

Quels sont les projets qui ont permis à Bonbon de mettre le pied à l’étrier ?
Nous avons tout de suite travaillé avec un magazine de théorie publié par le ZhdK intitulé ‘magazine 31’. C’est le premier mandat concret que nous avons réalisé et cela nous a occupé jusqu’à l’année passée, à savoir près de dix ans. Nous avons toujours eu un ou deux petits boulots en parallèle, jusqu’au moment où nous avons reçu un coup de téléphone, en catastrophe, de l’Office fédéral de la culture. Il cherchait quelqu’un pour réaliser une série de trois catalogues pour le concours des bourses fédérales de 2007 à 2009. Le budget était conséquent et cela nous a permis de nous investir à 100% pendant trois ans. Au final, nous avions trois beaux objets, de quoi montrer l’éventail de nos capacités. À partir de là, tout a vraiment démarré. Après cinq années de collaboration, ces gros mandats nous ont mis le pied à l’étrier.

Qu’est-ce qui a défini votre ligne ou vos intérêts communs ?
Notre point commun, c’est peut-être que nous n’avons jamais eu besoin de prospecter pour trouver des mandats. Nous avons eu la chance que les mandats intéressants nous soient proposés. Nous avons un autre dénominateur commun : l’enseignement. Notre taux d’activité est d’environ 20%, Valeria travaille entre St-Gall et Zurich et moi entre Lausanne et Lucerne. Nous ne sommes pas du genre à nous mettre une heure devant une classe pour les bombarder d’informations et cela a largement favorisé la mise en place d’une approche fondée sur l’écoute. Au travers de nos enseignements, nous cherchons à construire un espace dans lequel les étudiants sont invités à parler, à participer, à consolider leurs identités. De manière assez naturelle, nous avons adopté un art du dialogue assez similaire avec nos clients.

Quels types de rapports entretenez-vous avec ces derniers ?
Quand j’entends parler des confrères, j’ai toujours l’impression qu’en comparaison nous avons très peu de conflits avec nos clients. Il est difficile d’extrapoler à partir d’un seul exemple, mais quelqu’un m’a dit un jour : « je viens spécifiquement chez-vous pour votre écoute ». Nous sommes toujours prêts à faire des compromis, à faire plusieurs séances avant de commencer un travail. Nous voulons toujours nous assurer d’être sur la bonne voie. Nous ne suivons pas tout le temps une méthode donnée, les choses se définissent en grande partie en fonction des mandats et des exigences des clients.

Quel est le projet qui représente le mieux votre travail ?
Nous sommes une petite structure et nous avons naturellement une approche généraliste. Entre les travaux d’identité, les travaux d’affiches, les travaux de livres, nous avons touché un peu à tout. Depuis notre mandat pour l’Office fédéral de la culture, nous avons mis l’accent sur les livres et, en général, des livres qui ont beaucoup de textes. C’est donc devenu en quelque sorte une spécialité, même si cela correspond plus à l’influence de nos clients qu’à un choix de notre part.
Nous avons une très bonne collaboration avec l’éditeur Scheidegger et Spiess, notamment grâce au livre sur Meret Oppenheim qui a été sélectionné parmi les « plus beaux livres suisses » avant de gagner la Lettre d’or au concours « Les plus beaux livres du monde ». C’est devenu un peu notre carte de visite. La particularité de ce livre tient au fait qu’il est composé à 80% de texte.

Une récompense qui vous a lancés ?
Ce qui s’est passé avec cette publication est assez intéressant. Grâce à cette récompense, somme toute triviale, de « plus beau livre du monde », les journaux généralistes se sont soudain intéressés à présenter des informations liées à la mise en page du livre. Quelques articles ont même rendu le sujet assez populaire ; ce fut très enrichissant d’avoir des analyses approfondies et des points de vue très divers sur notre travail. De plus, ça a nettement eu un impact sur nos carnets de commandes pour cette année, tout en consolidant les relations avec notre client. Bref, tout le monde en est sorti très content.

Parlons de votre style…
Notre style véhicule certains clichés typiquement « suisses » en termes de qualité et de finesse. À l’école, nous avions un professeur qui nous disait que nous avions un côté un peu baroque. Par rapport à certains bureaux plus radicaux, nous hésitons moins à jouer avec l’ornementation et les mises en scène. Toutefois, la dimension « décorative » de nos réalisations découle toujours de décisions touchant les contenus.

Cela s’est reflété dans votre livre sur Meret Oppenheim ?
Pour ce livre, nous avons pris deux décisions essentielles. La première a été de placer les notes en milieu de page, entre les deux colonnes, plutôt qu’en bas de page. La seconde a été d’intégrer les reproductions de correspondances sur des fonds de couleur. Pour le reste, il s’agit de décisions relativement banales.
Au-delà de l’aspect strictement fonctionnel, il y a évidemment une dimension décorative et historique, qui fait référence aux annotations manuelles que l’on peut trouver dans les livres religieux. Ces notes ne servent pas seulement à prouver l’érudition et la rigueur des auteurs. Ce sont vraiment des indications indispensables pour comprendre l’ensemble du contenu et c’est pour cela qu’elles sont placées au premier plan. C’est le genre de petites subtilités qui nous permettent de nous amuser, car il doit y avoir un côté ludique dans la planification d’un livre. Il faut essayer de trouver quelque chose de nouveau, éviter de reprendre toujours la même formule, même si on a tous un peu nos propres routines.

Comment définir un bon travail ?
Selon nous, il doit être mesuré à la satisfaction du client et pas forcément à l’idée que l’on a voulu imposer au début. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de bras de fer de temps en temps, mais nous savons détecter assez tôt si une collaboration est possible. On part toujours du principe que le premier spécialiste, c’est le client, notre avis vient après. Nous pouvons toujours le conseiller pour trouver une solution à ses besoins et nous faisons particulièrement attention à ses envies. Nous accordons beaucoup d’importance à l’accueil, à laisser suffisamment de temps pour que les mandants puissent raconter leur histoire, sans chercher à les contredire ou à les provoquer. Même s’il faut également savoir lancer de petites piques qui permettront de les faire sortir de leur réserve ou de les orienter vers des solutions auxquelles ils ne s’attendent pas.

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