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« Le secteur de la communication est en croissance »

Depuis le début de l’année 2016, Publicité Suisse s’appelle CS Communication Suisse. Ex-président de PS, François Besençon va désormais représenter la Suisse romande au sein de cette nouvelle association faîtière nationale en qualité de vice-président. Pour ce professionnel des médias très impliqué dans les associations professionnelles romandes et également membre du Comité de direction de publisuisse et membre de la Commission fédérale des médias (COFEM), la création de cette nouvelle entité est le résultat de la globalisation des marchés. Pour lui, la défense des intérêts B2B suisses doit se faire au niveau national, puisque les défis de notre industrie sont les mêmes dans toutes les régions du pays.

L’association faîtière Publicité Suisse devient Communication Suisse. D’un point de vue sémantique cette évolution est très intéressante. Comment doit-on l’interpréter : que le monde des agences de publicité n’est plus suffisamment fort et fédérateur ? Que la communication – comprenant le marketing, la publicité et les médias – fait partie d’un même tout ?
Précisons d’abord que Publicité Suisse n’a jamais été dévolue au monde des agences de publicité, mais à l’ensemble de la branche.

Cela étant, la sémantique est effectivement révélatrice d’une évolution qui ne va pas surprendre les Romands. En 1929, cette association avait été créée sous le nom de Fédération romande de Publicité. Au courant des années 90, cette appellation s’est muée en Fédération romande de publicité et de communication.

Passer de la publicité à la communication n’est effectivement pas anodin. Le terme de publicité est souvent employé dans son acception la plus étroite, ce qui ne comprend généralement pas le hors médias ou le sponsoring. Or, notre association a toujours eu pour vocation de prendre en compte l’ensemble du marché de la communication commerciale. Il est normal que notre identité de marque reflète l’entier du périmètre de cette industrie.

Les agences web viennent sur le terrain de la communication, pendant que les agences de publicité se digitalisent. En tant que spécialiste médias, comment voyez-vous le paysage des agences dans notre pays d’ici cinq ans ?
Je me suis toujours opposé à la division de la communication en sous-catégories. L’émergence d’un nouveau vecteur de distribution a engendré une nouvelle forme d’écriture, certes. Ce n’est pas pour autant que celles que vous appelez les agences de web ne sont pas des agences de communication. À terme, les agences de communication, qu’elles soient issues du web ou de la publicité classique, offriront, si ce n’est déjà le cas, un conseil global couvrant tout le spectre de la communication commerciale. Un client ne doit pas dire : je veux faire du web ! Il doit dire : je veux atteindre tels ou tels objectifs de communication. C’est ensuite aux spécialistes de définir quels sont les meilleurs vecteurs pour transporter le message.

A l’opposé, il restera des acteurs techniques, dans la chaîne de production ou de transport du message, qui se focaliseront sur tels ou tels vecteurs. Un studio de production TV réalise rarement des affiches !

Quid des agences romandes ? Réussiront-elles à résister à la concurrence nationale internationale et au franc fort ? L’enquête de Cominmag sur les salaires des agences montrait qu’elles sont plus fragiles que les alémaniques, qui peuvent compter sur un nombre plus important d’annonceurs d’envergure nationale.
C’est avant tout une question de positionnement. Quels clients ciblez-vous, quelles sont les prestations que vous fournissez ? Les entreprises dont le centre de décision est en Suisse romande peuvent être des acteurs internationaux, des multinationales ou des organisations non gouvernementales ainsi que des acteurs locaux et régionaux. Une agence romande devra ainsi être positionnée sur ces types de clients.

Publicité Suisse et Schweizer Werbung étaient deux associations distinctes. Avec Communication Suisse a été créée une association faîtière au niveau national. Les raisons de ce rapprochement ont-elles un lien avec la précarisation de la situation romande ?
Absolument pas. Je n’aime pas ce terme de précarisation du marché romand. Oui, le paysage économique suisse fait face à une germanisation du tissu entrepreneurial. Dans les grandes entreprises comme dans les statistiques internationales, la Suisse est toujours plus souvent intégrée à la zone germanophone comprenant l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse (DACH). La part de la consommation intérieure penche évidemment nettement en faveur de la région alémanique. Résultat, les centres de décisions des sociétés actives sur le marché national, qu’elles soient des multinationales ou des sociétés nationales, se déplacent sur le grand Zurich, capitale économique de la Suisse. C’est inéluctable, logique et compréhensible. Cela ne veut pas pour autant dire que la Suisse romande n’a pas d’atouts. Bien au contraire.

Si certains prestataires de notre branche sont touchés par cette évolution, le marché de la communication commerciale ne l’est pas ! Les dépenses publicitaires par habitant ne montrent aucun signe de sous-investissement en Suisse romande.

Alors quelles sont les raisons de cette fusion ?
Le marché se globalise et les prestataires de notre branche s’organisent logiquement autour de l’acteur principal qu’est l’annonceur. Il fut un temps où tous les annonceurs avaient des structures de communication, de publicité, de marketing dans chaque canton. Les clubs de publicité cantonaux se sont créés à ce moment. Ces compétences ont ensuite été ramenées au niveau des régions linguistiques, puis des pays et aujourd’hui bien souvent au sein de structures supranationales. Nous devons nous adapter à cette tendance.

Comment est constituée votre gouvernance ? Quel sera votre rôle ? Existe-t-il encore un board romand ?
Les problèmes et les défis pour la communication commerciale sont les mêmes dans toutes les régions de Suisse, de Genève à Romanshorn, mais les réponses sont souvent locales ou régionales en raison de la structure fédérale de notre pays. C’est un marché national, mais régulé sur les trois niveaux institutionnels que sont la Confédération, les cantons et les communes. Il faut donc une structure nationale, mais décentralisée !

Raison pour laquelle cette nouvelle association comprend un Conseil Suisse de la communication, dont un tiers des membres provient des régions latines : c’est l’entité stratégique. L’association est ensuite pilotée par un Présidium composé du Président, le Conseiller aux Etats Filippo Lombardi, et de trois vice-présidents : un alémanique, un tessinois et un romand désignés par leur section. Les sections germanophone, italophone et francophone sont autonomes ; elles ont leurs propres organes, leur budget, et assurent la poursuite de la mission de l’association sur un plan régional.

Quelle est justement cette mission ?
Défendre et promouvoir le rôle de la communication commerciale en tant que rouage essentiel de l’économie et de la société. Et optimiser les conditions-cadres de l’exercice de ces métiers.

Quel est votre lien avec le BSW et l’ASA ?
Elles font parties de nos membres et nous entretenons évidemment des contacts très étroits avec ces deux associations, qui représentent des acteurs clés de la branche : les agences et les annonceurs les plus importants.

Cela étant, notre action se situe à un niveau plus large, celui de l’ensemble d’une branche économique.

Notre industrie est évaluée à plus de CHF 7 milliards. Elle génère plus de 20’000 emplois directs et indirects et contribue pour 1,34% du PIB du pays. C’est ce marché que nous défendons !

De quels moyens allez-vous disposer pour sensibiliser les marques suisses à travailler avec des agences locales ?
Encore une fois : nous faisons tout pour que la scène créative suisse soit compétitive. Mais la défense des agences suisses et de leur création est l’affaire du BSW (Leading Swiss Agencies), de l’ASW (Alliance Suisse d’agences de publicité) ou de l’ADC Suisse (Art Director’s Club).

Quel est l’intérêt aujourd’hui pour des professionnels de faire partie d’une association faîtière ? Ce qui était encore une évidence, voici quelques années, pose question aux jeunes actifs.
Une association faîtière fournit des services concrets, tels que des services juridiques, et offre des possibilités de networking.

Cela étant, c’est avant tout une question de responsabilité que de participer individuellement au bien commun. Ceux qui vivent du marché de la communication commerciale doivent en financer sa promotion et sa défense, ce qui ne peut être fait que grâce à des associations de branche fortes. C’est encore plus vrai dans une démocratie directe comme la nôtre.

L’acceptation de la publicité dans la société est un enjeu majeur de notre industrie et c’est l’affaire de tous d’y contribuer.

Revenons au marché. D’important défis médiatiques vont se présenter en 2016 : lancement d’une plateforme programmatique entre Swisscom, SSR et Ringier, débat parlementaire sur la mission du service public audiovisuel, poursuite de la digitalisation des éditeurs de presse, arrivée en force de l’affiche numérique, etc. A vos yeux, quel est le plus important pour l’écosystème suisse ?
Communication Suisse ne s’occupe pas de politique des médias et encore moins de financement des médias, même si le politique réduit bien souvent le rôle de la communication commerciale à cette dernière fonction. La communication commerciale est au service de l’économie et des annonceurs, pas des médias. Elle est finalement à l’économie ce que le carburant est à un moteur.

Il n’en demeure pas moins que la communication commerciale comme l’ensemble de l’économie à un intérêt majeur à une place médiatique forte. Il nous faut donc la soutenir directement et indirectement.

La Suisse est un marché où l’espace média est très cher, en raison de sa taille et des divisions linguistiques. Les agences et les médias pourront-elles réussir à résister à l’homogénéisation des prix qu’impose le web ?
Cette problématique n’est pas nouvelle. La demande des grands annonceurs pour un prix par contact identique pour un consommateur allemand, français ou suisse est un phénomène largement connu !

La multiplication des plateformes programmatiques contribue également à cette pression sur les prix et elle change profondément la manière de vendre de l’espace médiatique. La prime à l’inventaire prend le pas sur la qualité du contenu. Une chance ou un risque ?
Je n’aime pas voir des risques dans les évolutions. Cela étant, je suis de ceux qui sont absolument convaincus que la communication commerciale est une question de qualité ou de pertinence avant d’être une question de quantité. C’est encore plus vrai à une époque où le support publicitaire s’est dissocié du contenu éditorial. De l’information, nous sommes passés à la communication pour arriver au dialogue. Tout le monde a toujours le choix d’entrer ou non en conversation. La communication commerciale doit donc être plus agile, plus intelligente – sinon elle risque de ne plus être consommée !

Quelles sont les prévisions pour le marché ?
Le marché de la communication commerciale est en pleine croissance. La multiplication des canaux de diffusion, et donc la fragmentation des audiences, engendre un besoin accru en intelligence marketing. Les dépenses en communication commerciale croissent, même s’il est toujours plus difficile de les appréhender correctement, les acteurs globaux ne donnant pas de chiffres par pays.

Le paradoxe, c’est que tous les acteurs du marché se plaignent de volumes en régression ?
Nous sommes dans une formidable phase de mutation. Depuis plusieurs décennies, la bascule numérique impacte fortement tous les acteurs de notre branche : les médias classiques, les agences de publicité full service, les intermédiaires à la vente, etc. Mais les transferts se font vers des acteurs nouveaux qui ont engendré une augmentation de la valeur nette du marché.

2015 a été la première année où les dépenses publicitaires réalisées sur les plateformes numériques ont dépassé celles réalisées dans le print ! C’est un changement majeur de paradigme et de marché.

Et comment tout cela va-t-il évoluer ?
La prévision est un art difficile. Une chose est certaine, le bouleversement qui touche en premier lieu la presse, mais aussi la télévision, va impacter tous les secteurs de la publicité. Pendant longtemps, le marché se divisait en strates : les annonceurs internationaux sur les supports internationaux, les annonceurs nationaux locaux sur les leurs. C’est terminé !

La digitalisation de notre industrie et des moyens de distribution va permettre à tous les médias de personnaliser les messages commerciaux. Le temps où la presse écrite ou la télévision diffusait le même message publicitaire à l’ensemble de leur audience touche à sa fin. Demain chaque lecteur, chaque téléspectateur sera une cible individuelle avec un contenu commercial personnalisé. Et le marketing en temps réel suivra, notamment grâce aux techniques de géolocalisation, et permettra d’offrir des offres commerciales à un instant précis et de manière totalement personnalisée. Ainsi, le commerçant local pourra lui aussi devenir le client de grands groupes médias, comme il le fait déjà en achetant des mots-clés sur des moteurs de recherche ou réseaux sociaux globaux.

Et la recherche ?
La convergence de l’information, du support et de sa distribution, la numérisation de tous les types de contenus (audio, vidéo et texte) et la fragmentation de la consommation de contenus sont des formidables défis pour la recherche sur les médias et les moyens publicitaires.
Cette dernière est encore organisée en vecteurs. Dans ce contexte, les initiatives visant à l’identification de mesures uniques, valables pour tous les contenus commerciaux quels que soient les supports, vont se multiplier. Globalement, la recherche devra, comme d’autres domaines, s’émanciper des vecteurs de distribution des contenus.

Que dire de la régulation de la publicité ?
La régulation des contenus éditoriaux vise essentiellement la garantie du pluralisme des opinions et de la diversité culturelle. Elle doit également s’affranchir des canaux de diffusion. Or, il n’en va pas ainsi actuellement.
Comment comprendre notamment que la publicité politique soit possible en affichage et dans la presse, et non à la télévision ou à la radio ? Comment comprendre que les règles applicables à la télévision ne s’appliquent que partiellement aux WebTV et à la VOD ? Pourquoi les contenus vidéo des sites Internet des télévisions et de la presse écrite ne sont-ils pas soumis aux mêmes règles en matière de publicité ?

Quelle est la solution ?
La seule piste possible est, compte tenu de la révolution médiatique que nous vivons, de réguler les contenus des communications commerciales en lieu et place des vecteurs. Il serait erroné de tenter de réguler les nouveaux médias par les règles actuelles, qui n’ont pas été conçus pour eux, ou de créer un nouveau droit parallèle pour ces nouveaux canaux.

C’est d’ailleurs aussi un enjeu majeur pour les associations comme les nôtres, qui doivent intégrer les nouveaux entrants, au risque de n’être que les défenseurs des acteurs existants, et ainsi de freiner toute innovation ou développement.

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