Interviews

Les ristournes aux clients !

b3bd8ad8ffd40745bbeac619e467d91aInterview de Roland Ehrler, directeur de l’ASA (Association Suisse des Annonceurs)

En novembre dernier, Roland Ehrler succédait à Jürg Siegrist, le directeur décédé de l’Association Suisse des Annonceurs (ASA). Après sa première intervention publique dans ses nouvelles fonctions, Cominmag lui a demandé comment il concevait le pouvoir et ce qu’il pensait des problèmes chez Mediapulse, des rapports annonceurs/agences et des divers chantiers en cours dans les médias.

M. Ehrler, vous êtes à la tête de l’ASA depuis le mois de novembre. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce poste ?
Le travail en soi. J’occupe une fonction de plaque tournante permettant d’exploiter au mieux le marché non seulement pour un client, mais pour l’ensemble de nos adhérents. Et je peux travailler avec les CEO à la conception du marché publicitaire, toutes les portes m’étant ouvertes.

Selon les informations publiées sur son site, l’ASA compte quelque 150 membres et représente 4,2 milliards de dépenses publicitaires, soit plus de 75% de tous les investissements publicitaires suisses. Vous est donc à la tête de l’une des associations suisses les plus puissantes. Quelle est votre conception personnelle du pouvoir ?
Le pouvoir est relatif (en riant). Je ne m’en sers pas beaucoup, ni personnellement, ni dans mon métier. Ne pas exercer à outrance son pouvoir est l’une des stratégies diplomatiques de l’ASA. Ce serait mal perçu. Mais notre influence nous ouvre les portes et instaure le dialogue entre nos parties prenantes, l’objectif permanent étant l’optimisation des conditions cadres pour nos adhérents.

Dans toutes les associations suisses, la représentation des Romands est toujours un problème. Vous avez annoncé que vous comptez prospecter de nouveaux membres francophones. Comment allez-vous procéder  ?
Il existe en Romandie divers adhérents potentiels dans le secteur des biens de luxe. Je vais les voir et leur présente l’association, une démarche généralement perçue comme étant positive. Il faudra quelque temps avant de pouvoir fournir des résultats quantifiables mais en Suisse alémanique, huit nouveaux membres nous ont rejoint en un an.
Le Conseil fédéral vient d’élire les membres de la nouvelle Commission des médias. Aucun représentant de l’ASA n’en fait partie.

Pourquoi  ?
Il faut le demander à l’OFCOM ou au DETEC. Mais comme je connais personnellement certains membres de la commission, nous pourrons défendre nos intérêts par leur biais.

Quels sont les grands défis en matière de médias concernant les annonceurs en 2013  ?
Le nouveau panel TV représente actuellement le principal défi (ndlr : l’interview a eu lieu le 18 avril). Dans le secteur presse aussi, nous tablons à partir de l’automne sur de tout nouveaux chiffres en matière de lectorat – peut-être serons-nous confrontés aux mêmes problèmes que pour la télévision. J’attends en tout cas de grands changements en raison du nouveau comportement des utilisateurs. Troisième genre prioritaire : le numérique où règne encore une atmosphère de ruée vers l’or avec un manque global de transparence. Dans le secteur en ligne, MediaFocus représente 2% à 3% du volume publicitaire, ce qui est bien trop peu. Car le rôle du numérique atteint 10 à 15% au total.
Il serait donc important pour nous de disposer d’une statistique dédiée plus précise, d’autant plus que les habitudes des utilisateurs se focalisent toujours plus sur le web et la mobilité, et la publicité doit suivre.

Quid des données TV, l’ASA a fait preuve d’une réserve relative jusqu’à la mi-avril. Pour quelle raison  ?
En interne, nous avons déjà réclamé, à la mi-février, que les données soient publiées. La consultation des experts ayant été positive, nous avons réitéré notre demande à la mi-avril en la communiquant cette fois publiquement et de façon catégorique.

Tout en restant très diplomates : vous avez dit que la situation était intenable pour tous les acteurs impliqués. Qui a ici le mauvais rôle ?
Il n’est pas facile de définir les coupables. La publication a été bloquée parce que des entreprises médias ont intenté une action en justice. Mais il est certain que l’on peut également reprocher à Mediapulse de ne pas avoir respecté le calendrier.

Concernant ce dernier point, l’ASA a elle aussi sa part de responsabilité puisqu’elle a un siège au conseil d’administration de Mediapulse.
Effectivement. Après la disparition de mon prédécesseur, le poste a toutefois été vacant une bonne partie de l’année dernière. Ce qui ne veut pas dire que les autres membres du CA agissent au détriment du secteur de la télévision. Mais les choses se sont passées autrement que prévu. Quoi qu’il en soit, l’ASA a mis un terme aux atermoiements : nous demandons avec véhémence que les chiffres soient immédiatement communiqués aux agences et aux clients. Peut-être suffirait-il d’ignorer purement et simplement le litige juridique puisque certaines données avaient déjà été publiées.

Que pensez-vous de l’annonce de Telesuisse (association des télévisions privées) de se retirer de la recherche Mediapulse ?
Cela ne change rien aux faits quand on ne veut pas en tenir compte. Il ne peut y avoir qu’un seul système : celui de Kantar Media. Ils travaillent dans une trentaine de pays et peuvent donc faire de même en Suisse. On peut bien sûr optimiser encore le panel mais il s’agit d’un nouveau système : aux chaînes de l’accepter enfin, même si leurs résultats sont moins bons. Dans le secteur de la publicité locale, les chiffres ont de toute façon une autre portée que pour les clients nationaux. À l’échelon local, il suffit en général d’avoir des données mensuelles.

Vous avez également parlé du chantier que représente la statistique numérique : pourquoi l’ASA a-t-elle gardé si longtemps les bras croisés  ?
Parce qu’il existe aux États-Unis quelques grands acteurs ne communiquant pas leurs chiffres. Même l’ASA est alors impuissante (en riant).

Pourquoi ne pas demander à vos propres adhérents le montant de leurs investissements  ?
C’est ce que nous faisons ! Et nous savons ainsi que la part revenant à Internet doit être de 10 à 15%. Ce qui est toutefois encore insuffisant pour effectuer des analyses de la concurrence.

Le secteur numérique voit l’émergence de deux nouveaux thèmes : la vente aux enchères de publicité en temps réel (RTB) et la publicité en temps réel (RTA). Une boîte de Pandore  ?
Je ne le crois pas. Il s’agit ici du calcul des prix et de la façon d’acheter en ligne. La RTB et la RTA vont elles aussi s’implanter en Suisse, même si l’on ignore la façon dont les prix vont réagir – augmentation ou diminution ? Mais ce qui est décisif, c’est que les processus évoluent et que les prestataires arrêtent de n’en faire qu’à leur tête en matière de politique des prix.

Et pourtant, le défi que chaque client doit relever est énorme : pour le seul contrôle de gestion, il doit évaluer un raz-de-marée de données.
ll suffit de faire appel à des spécialistes et à l’informatique. Aujourd’hui déjà, il faut des serveurs de pub et des outils de suivi pour Internet. C’est la même chose avec la RTA. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un processus d’achat automatisé. Aujourd’hui, le travail des agences demeure plus important pour les campagnes en ligne que pour les médias classiques ! Il vaut donc mieux s’intéresser à ce genre de processus automatisés.

Et du côté des agences média : quels sont les défis ?
La transparence des flux financiers demeure ici le thème central. Et nous voulons également en savoir plus sur la réglementation des relations clients.

J’ai l’impression que dans ce domaine, chacun persiste depuis longtemps à défendre ses positions et refuse d’en démordre.
C’est vrai. L’ASA considère que toutes les ristournes et primes doivent revenir au client alors que le BSW pense que l’agence doit pouvoir conserver certaines choses. Toujours est-il que nous sommes d’accord sur un point : tout doit être transparent entre l’agence et le client.

Le BSW se plaint régulièrement des clients réclamant plus de prestations et d’investissements sans augmentation des honoraires. Quelle est la position de l’ASA  ?
Nous avons toujours dit qu’une agence devait être rémunérée comme il se doit. Si le travail est plus important (en raison par exemple de l’évaluation prochaine des données PIN), il faut en discuter. Un autre exemple de transparence.

Que pensez-vous de la revendication des agences médias demandant que les honoraires correspondent à au moins 3% du budget ?
Un taux fixe est pour moi une erreur car pour les petits budgets, ils peuvent passer à 10% et n’être que de 1 ou 2% pour les très gros contrats. Et comme les agences doivent gérer plus de canaux de communication (off et online), il serait certainement plus judicieux d’opter pour des honoraires calculés en fonction du travail fourni.

À l’avenir, à quel média seront affectées les dépenses publicitaires ?
Comme les consommateurs sont toujours plus mobiles et de plus en plus souvent en ligne, la publicité va suivre cette tendance. Pour ce qui est des médias, la télévision conservera de son attrait, bien que les blocs de publicité classique vont diminuer au profit de nouvelles formes spécifiques. Exception faite des journaux gratuits pour pendulaires et de la presse dominicale, les produits imprimés comptent parmi les perdants du mix média. Mais les marques de presse ayant réussi leur reconversion vers l’Internet et la mobilité auront certainement un meilleur avenir… La publicité directe est et demeure l’un des gagnants. Même stabilité dans la publicité extérieure et radiophonique, la numérisation étant synonyme d’une multitude d’innovations pour la première.

Les étiquettes antipub sont largement répandues en Suisse, l’UE veut restreindre l’accès aux données des internautes et donc limiter le ciblage en ligne et la publicité en ligne est interdite à la SSR. Bref, la publicité est controversée et impopulaire. Où faut-il chercher l’erreur chez les annonceurs ?
Les politiciens ont malheureusement souvent tendance à vouloir marquer rapidement des points pour confirmer le bien-fondé de leur action. Et les interdictions de publicité arrivent à point nommé, mais elles sont rarement ou peu efficaces alors qu’elles menacent des professions entières ainsi qu’un grand nombre d’entreprises. Ce qui explique que l’ASA se batte depuis 1950 contre les interdictions de publicité. Mais il faut que la publicité renforce son travail de lobbying, en Suisse comme à l’étranger.

Markus Knöpfli

www.swa-asa.ch

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