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Les sex-toys au fil du temps

L’exposition « Nirvana », présentée jusqu’au 26 avril au mudac à Lausanne, propose une enquête approfondie sur l’influence des formes du plaisir dans le design, la mode et l’art contemporain. Cette exposition constitue un excellent prétexte pour explorer les liens qui se tissent entre communication et objets sexuels.

Comme le stéthoscope ou le thermomètre, l’apparition des vibromasseurs s’inscrit dans les progrès de la médecine moderne. Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, cet instrument a permis aux médecins de traiter plus efficacement les patientes « hystériques ». Cette page historique a été récemment portée à l’écran, avec beaucoup d’humour, par Tanya Wexler dans son film Hysteria (2012). Certaines patientes ont rapidement compris qu’il n’était pas nécessaire de payer des honoraires pour atteindre les mêmes résultats et les vibromasseurs n’ont pas tardé à devenir des accessoires très populaires au début du XXe siècle. À l’instar des chauffe-eaux ou des grille-pain, ils faisaient partie des premiers biens électriques courants à intégrer les foyers. « Les vibrations insufflent la vie et l’énergie, la force et la beauté. Faites vibrer votre corps, et faites-le bien. Vous n’avez pas le droit d’être malade » : une publicité de 1910 évoque sans aucun tabou les vertus de l’ustensile. A cette époque, il s’agissait encore d’un accessoire de massage que les femmes pouvaient se procurer sans aucune gêne. Un changement s’opère, à partir des années 30, avec l’essor de productions pornographiques explicites. Devenus tabous, ces masseurs particuliers disparaîtront rapidement des grandes surfaces pour se retrouver dans les sex-shops. Au XIXe siècle, après une longue mise en quarantaine, le vibromasseur fait un retour en force et sous des formes insoupçonnées. En 2014, les revenus découlant de cette « nouvelle révolution sexuelle » oscilleraient entre 10 et 15 milliards de dollars par an.

Quand les startup s’agitent
Même si les revendications des années 1970 ont largement participé à imposer le godemichet comme un objet de lutte, cela n’est rien en comparaison de l’onde de choc produite par « Sex and the City ». Dans le neuvième épisode de la première saison de cette série, Miranda avoue être tombée sous le charme d’un certain Jack Rabbit : un vibromasseur rose aux oreilles frétillantes qui lui procure un plaisir paroxystique. Elle se montre tellement convaincante que Charlotte développe à son tour une passion débordante pour cet objet-fétiche, à tel point que Miranda et Carrie organisent une opération commando pour la soustraire de sa dépendance à son amant de substitution. Cet épisode, diffusé pour la première fois sur HBO en août 1998, a largement participé au succès de la série ; plus généralement, les discussions décomplexées des héroïnes ont marqué un tournant décisif pour normaliser à nouveau l’usage des « sex-toys ». À cette époque, la presse était encore réticente à évoquer la masturbation féminine et le fabricant du Rabbit, la compagnie Vibratex, a ainsi réussi une stratégie de placement qui allait rester dans les annales.

« Sex and the City » ouvrait un nouvel âge dans l’industrie des jouets sexuels et ce succès a été largement amplifié par l’anonymat des achats en ligne. Il n’était plus nécessaire de se rendre dans des sex-shops pour comparer et se procurer ses produits ; les fantasmes pouvaient être assouvis à moindres coûts, sans redouter les face-à-face embarrassants. Pour sa première année d’e-commerce, le magasin spécialisé Ann Summers a vendu près d’un million de Rabbits et l’engouement n’a cessé d’augmenter. Les succès récents d’ouvrages comme 50 Shades of Grey de E. L. James (2011) ou la célèbre publicité de Mad Men, « Rejuvenator ¬¬– You’ll love the way it makes you feel », ont scellé la banalisation des vibromasseurs auprès du large public. Pour Ethan Imboden, cofondateur de Jimmyjane, « la popularité rencontrée par le livre a complètement bouleversé les habitudes, en permettant de mettre en avant les conversations touchant à la sexualité et au plaisir. Cela a accéléré la progression dans les réseaux mainstream, tout en titillant les imaginations autour du globe ». Toutefois, même si les jouets sexuels sont devenus tendance, toute la subtilité de l’exercice tient au fait qu’il ne s’agit pas de chauffe-eaux ou de grille-pain.

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En plus de développer ses propres stratégies de promotion, ce secteur dispose d’arguments plutôt convaincants dans un monde soumis aux soubresauts. En effet, les ventes auraient tendance à augmenter de manière encore plus significative pendant les périodes de récession ou de chômage. Pour Stefan Dallakian, fondateur de la compagnie Paris Intimates, l’équation est très simple : « Cloîtrés à la maison sans trop de revenus, les couples sont plus enclins à s’impliquer davantage dans leurs plaisirs sexuels ». Cette conjoncture suscite toujours plus de vocations et on ne compte plus le nombre de petites compagnies qui, souvent sur des modèles inspirés par les start-ups, ont fleuri au cours des dix dernières années. Cet engouement a été d’autant plus fort que ce marché, confiné dans des réseaux spécialisés, n’avait pas beaucoup évolué depuis les années 1960. Cave, JimmyJane, Conevibe, We-Vibe, etc. : nombreuses sont les marques qui ont redéfini en profondeur les attributs et l’image traditionnellement attachée à ces gadgets. Rigolos, écolos, animés ou connectés, tout le monde doit pouvoir y trouver son plaisir et les développeurs poussent toujours plus loin l’innovation, afin de provoquer de nouvelles tentations. La stratégie d’une compagnie comme Trojan, par exemple, joue essentiellement la carte du bien-être et du plaisir, à travers des stratégies de proximité. Toutefois, ces objets ont tellement changé de nature qu’ils font désormais partie du quotidien. Cette banalisation est visible dans l’évolution de leur design qui se trouve être au centre des stratégies de communication.

Le luxe fait vibrer
Avec ces 600 employés, l’entreprise suédoise Lelo (Luxury Erotic Lifestyle Objects) est un leader emblématique de cette nouvelle vague. Fondée en 2002, la firme a parié dès le début qu’une génération d’utilisatrices et d’utilisateurs était prête à payer plus pour un objet plus luxueux. Même si leur catalogue présente une pièce incrustée de diamant avoisinant les $15.000, le prix moyen des produits est de $100. Circulaire, précieux et hi-tech, la vidéo de présentation Lelo Ora comptabilise 700’000 visites sur YouTube et semble faire la promotion d’un nouveau modèle de souris sans fil. Leur approche est souvent comparée à Apple, car une place importante est apportée au design et à l’innovation. Contours discrets, couleurs pastels, packaging soigné, ils n’ont pas tardé à se retrouver en bonne place sur les étalages des boutiques de luxe, dans les rubriques « life-styles » de la presse féminine ou dans de blogs plus techniques tel Gizmodo. Selon le cofondateur Pavle Sedic, cette visibilité a été d’autant plus accrue par le fait que ces créations ne ressemblent pas aux jouets sexuels traditionnels: « Nos produits sont à la fois ni trop explicites, ni trop grossiers, et cela pique la curiosité. Il s’agit simplement d’objets design sophistiqués, destinés à améliorer les plaisirs et les relations entre les gens. ». Dans cet esprit, la firme a récemment lancé un concours invitant les designers à développer un produit, à mi-chemin entre la mode, la technologie et l’illustration, susceptible de générer une connexion émotionnelle entre les gens.

Cependant, les « toys » présentent de moins en moins de liens directs avec l’anatomie humaine et la référence ultime pour ces jeunes designers reste Apple. Les objets présentent abondamment les formes et des couleurs popularisées par Jonathan Ive et il arrive même que certaines fonctionnalités, comme la synchronisation avec iTunes, établissent une contiguïté encore plus surprenante. Il arrive même quelquefois, par exemple avec le Hello Touch de Jimmijane, qu’on emprunte des technologies carrément audacieuses. À ce titre, l’influence de la Silicon Valley est également de plus en plus notoire dans cette industrie. La résurgence, depuis quelques années, de start-ups spécialisées dans le hardware a généré un écosystème de créatifs à l’aise aussi bien en design qu’en ingénierie et avec les techniques récentes de prototypage rapide (comme les imprimantes 3D). Parmi les rares femmes designers dans ce domaine, Ti Chang s’est rapidement fait connaître pour ses produits associant bijouterie et haute technologie. Le premier projet produit par sa compagnie a été financé grâce au succès spectaculaire d’une opération de crowdsourcing. Sorte d’hybride entre une clé USB et un magnétophone, le premier modèle de sa marque Duet est un bon exemple des nouveaux canons en vigueur, aussi bien en termes esthétiques qu’entrepreneurials. En regard de la complexité et de la compétition croissante dans le domaine des accessoires numériques, la fabrication de sex-toys offre encore des perspectives plus que réjouissantes.

Cette tendance à l’épuration des contours permet également de déjouer les systèmes de référencement utilisés par Google ou les standards de Facebook. En 2014, Google a fait passer u règlement destiné à interdire les publicités pour les jouets sexuels (tout en acceptant celles pour les armes).
Par exemple, et posé sommairement, AdWords se base sur trois critères pour distinguer une annonce lorsqu’elle est approuvée. D’une part, la diffusion limitée signifie que l’annonce peut être diffusée, mais pas dans tous les cas. Il s’agit en général d’annonces de marques liées aux jeux d’argent et de hasard. Ensuite, il y a la mention « non adaptée à tous publics » (non-family). L’annonce peut être diffusée, sous réserve, en raison de restrictions liées aux contenus, en général une évaluation du degré de nudité. Enfin, la mention « adulte » s’adresse aux contenus ouvertement sexuels ou jugés comme tels. Il s’agit notamment des annonces pour des sites contenant des images de nudité. Du même coup, les annonces appartenant à cette dernière catégorie n’apparaissent pas lorsque l’option Safe Search est activée ou dans certains pays plus prohibitifs. Toute la subtilité de l’exercice consiste à faire preuve de suffisamment d’imagination pour pas ne perdre une partie des parents vigilants. Certaines campagnes détournent les règlements poreux en misant sur la carte de l’humour décalé ou l’autocensure aguicheuse. Mais ces feintes semblent désormais toujours plus inutiles, car, sous leurs formes diverses, les vibromasseurs sont devenus des supports pour inventer des histoires. Les branches des lampes-arbres de Marc Dibeh, les formes aquatiques d’Yves Behar ou les colliers-pincettes de Crave constituent autant d’exemples qui permettent à ces objets de circuler partout, sans aucun tabou.

1. The Secret of the ages has been discovered in Vibration. Great scientists tell us we owe not only our health but even our life strength to this wonderful force. Vibration promotes life and vigour, strength and beauty…
Vibrate Your Body and Make it Well.
YOU Have No Right to Be Sick

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