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Le Conseil fédéral s’implique enfin dans l’épineux dossier des Droits voisins

Dans son rapport du 17 décembre 2021 « Suivi de la révision de la loi sur le droit d’auteur », le Conseil fédéral reconnaît un droit de protection pour les prestations journalistiques. Les services en ligne profitant largement des prestations des médias journalistiques, il considère qu’il est justifié que ces derniers touchent une compensation pour leurs prestations. Le Conseil fédéral a également observé les développements au niveau international. En 2019, l’UE a édicté une directive en faveur des entreprises de médias afin qu’elles puissent défendre leurs intérêts vis-à-vis des services en ligne. Cette directive est aujourd’hui mise en œuvre dans la majorité des États membres.

Se basant sur cette analyse, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police d’élaborer un projet à mettre en consultation. Il a approuvé ce projet le 24 mai 2023.

Premières propositions
Le Conseil fédéral propose l’instauration d’une obligation pour les grands services en ligne de verser une rémunération aux entreprises de médias pour l’utilisation de courts extraits dont elles sont les auteurs. Le projet prévoit que lorsqu’un grand moteur de recherche, par exemple, affiche des extraits d’articles de journaux dans la liste des résultats, le service en ligne devra payer une rémunération pour cette utilisation.

Seuls les services en ligne qui comptent un nombre annuel moyen d’utilisateurs de dix pour cent au moins de la population suisse tomberaient sous le coup de cette obligation. La gestion des droits sur les contenus des médias sera du ressort d’une société de gestion. Cette dernière représentera les intérêts des entreprises de médias et des journalistes sur une base collective et négociera avec les services en ligne soumis à l’obligation de verser une rémunération le montant et les modalités de celle-ci. Le Conseil fédéral mise ainsi sur une solution qui a fait ses preuves et qui présente l’avantage d’être moins bureaucratique en comparaison internationale. Cette approche permet par ailleurs de faire profiter aussi les sociétés de médias régionales et de taille plus modeste de la rémunération en faveur des prestations journalistiques.

Deux options pour les médias sociaux
Le Conseil fédéral laisse ouverte la question de savoir si le partage de courts extraits par les utilisateurs de médias sociaux génère une obligation de rémunération par les fournisseurs de ces services. Sur ce sujet, il met deux options en consultation. La création de simples hyperliens ne donne pas lieu au versement d’une rémunération.

Les nouvelles dispositions ne devraient rien changer pour les internautes. Il est pour l’heure difficile d’estimer les recettes supplémentaires que pourront réaliser les entreprises de médias et les journalistes, car leur montant dépendra des négociations entre les sociétés de gestion et les associations représentatives des utilisateurs. Les tarifs négociés, qui sont contraignants, devront être approuvés par la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur et de droits voisins.

Les éditeurs réagissent
L’association des éditeurs Schweizer Medien salue l’orientation prise par le Conseil fédéral, qui entend mieux protéger le travail journalistique des entreprises de médias suisses contre les plateformes technologiques internationales et adapter le droit d’auteur à la réalité numérique. La Suisse adapterait ainsi la protection légale des prestations journalistiques, et ce au niveau de l’UE, qui connaît déjà un droit voisin pour les contenus journalistiques.

Les éditeurs demandent que ce ne soit pas le simple lien qui soit protégé, mais les extraits d’articles éloquents (snippets). Ce point central est assuré par le texte de loi présenté. Contrairement à l’affirmation des plateformes technologiques et de leurs soutiens, qui combattent le droit voisin dans toute l’Europe pour des raisons purement économiques, la liberté d’Internet n’est en aucun cas remise en question par le droit voisin.

On peut également déduire de la consultation que seules les plateformes qui, en raison de leur puissance sur le marché, ont un effet sensible sur la consommation des médias en Suisse et qui, avec leur création de valeur (publicitaire) à partir des contenus des entreprises de médias jusqu’à présent obtenus gratuitement, doivent expressément fournir une rémunération compensatoire et encaisser une partie pertinente du revenu publicitaire total. Seuls les géants internationaux de la technologie comme Google, Microsoft et Meta sont donc concernés par la modification de loi prévue, et non les PME suisses.

Les associations d’éditeurs estiment qu’il est juste que la solution proposée fasse une mention spéciale aux petites et moyennes maisons d’édition. De même, les associations d’éditeurs partagent l’avis que les journalistes doivent participer de manière appropriée à la rémunération. Le droit voisin englobe tout l’écosystème du journalisme suisse – celui-ci est mis en difficulté dans son ensemble en raison du modèle commercial inéquitable des plateformes tech internationales.

Google & Co reprennent la création de valeur suisse sans rémunération
Le droit d’auteur actuel n’est pas encore adapté à la nouvelle réalité numérique, si bien que les entreprises de médias suisses sont actuellement sans protection face à l’utilisation commerciale de leurs contenus par Google & Co. Dans leurs modèles commerciaux, les moteurs de recherche internationaux et les plateformes de médias sociaux reprennent les contenus des éditeurs sans que ces prestations étrangères soient rémunérées. Les entreprises de médias suisses se voient ainsi privées de moyens financiers (sous la forme de recettes publicitaires et d’abonnements qui s’envolent), tandis que les plateformes Internet internationales augmentent constamment leurs bénéfices grâce aux contenus journalistiques. En tant que quasi-monopoleurs, les géants internationaux de la tech dictent les conditions de la distribution en raison de leur pouvoir de marché. Les entreprises de médias sont tributaires de leur présence dans les offres des géants de la technologie, ce qui entraîne des inégalités de traitement.

Droit à rémunération prouvé et norme internationale
Une nouvelle étude de FehrAdvice & Partners, qui a bénéficié du soutien scientifique d’économistes de l’EPF de Zurich et de l’Université de Zurich, montre pourquoi une rémunération équitable des entreprises de médias est justifiée et nécessaire. L’étude démontre, preuves à l’appui, que les contenus journalistiques des entreprises de médias fournissent une valeur substantielle aux plateformes numériques : Les informations actuelles, fondées et crédibles augmentent l’attractivité, la qualité, l’actualité et la confiance dans les services des plateformes tech, sans que l’utilisation des contenus ne soit aujourd’hui rémunérée. L’étude chiffre la somme que Google devrait verser aux médias suisses à au moins 154 millions de francs par an.

Il est important à cet égard que le projet tienne compte dès aujourd’hui des évolutions futures. La discussion à venir sur le droit voisin dans le droit d’auteur suisse doit donc prendre en compte non seulement les moteurs de recherche et les agrégateurs d’informations, mais aussi les nouvelles applications de l’intelligence artificielle comme les chatbots (par ex. ChatGPT). Ces derniers utilisent eux aussi les contenus journalistiques comme base de leur prestation et utilisent ainsi la coûteuse prestation journalistique préalable à leurs propres fins commerciales. La liberté économique des géants de la tech est respectée, rien ne change pour les consommateurs. La seule chose qui change, c’est que le projet de loi du Conseil fédéral sur les droits voisins leur offre un journalisme renforcé.

Victoria Marchand

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