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Capa en couleur

L’opposition entre la couleur et le noir et blanc en photographie en dit long sur les rapports qu’entretient une société avec ses images. Longtemps, le noir et blanc a régné en maître absolu et pour cause : la couleur n’existait pas encore. Puis la couleur est apparue, dans les années 30, avec les célèbres Kodachrome. Elle a mis du temps à s’imposer et, jusqu’au début des années 60, elle n’était utilisée que pour la publicité et la mode, sujets où l’esthétique joue un grand rôle et considérés comme légèrement futiles. Pour tout le reste (les sujets sérieux, l’actualité, les conflits sociaux, les conflits tout court), le noir et blanc restait la référence absolue.

Aujourd’hui, où les choses se sont complètement inversées, l’esthétique est plutôt du côté du noir et blanc (regardez la dernière exposition Mapplethorpe au Grand Palais à Paris) quand la couleur qui a gagné la bataille est partout présente. L’un des intérêts de Capa in Color de Cynthia Young, c’est de montrer la découverte et l’utilisation de la couleur par un des maîtres du noir et blanc, le grand photoreporter Robert Capa.
Capa, qui était à l’affût de toutes les nouveautés, découvre les bobines couleur au moment de la guerre d’Espagne. Quelques années plus tard, il fait des photos couleur d’Hemingway en train de pique-niquer en famille dans l’Idaho puis, pendant la guerre, de convois traversant l’tAlantique sous la menace des redoutables sous-marins allemands. Ces photos sont véritablement étonnantes car la couleur leur donne une proximité telle qu’on a l’impression qu’elles ont été prises hier. Même sentiment quand on regarde ses dernières photos, celles prises en mai 1954 en Indochine, qui ont en plus un côté étrangement apaisé, serein, alors que la guerre fait rage. Certes Capa continue à beaucoup utiliser le noir et blanc, mais il aime suffisamment la couleur pour partir systématiquement en reportage avec deux appareils photos chargés l’un de couleur, l’autre de noir et blanc.

Après guerre, les lecteurs des magazines du monde entier ont besoin de divertissement pour oublier la barbarie passée et les rédacteurs en chef commandent à Capa des sujets aussi variés que la vie mondaine à Deauville ou Biarritz, les sports d’hiver (lisez les conseils de Capa pour réussir à coup sûr ses photos dans la neige), le cinéma (très belles photos de l’ensorcelante Ava Gardner dans « La Comtesse aux pieds nus » de Joseph Mankiewicz) ou encore des reportages sur des pays comme l’URSS (que Capa effectue en compagnie de l’écrivain américain John Steinbeck) ou la Norvège. Bien sûr, tous ces travaux sont en couleur et l’on sait que Capa, qui a monté l’agence Magnum, se comporte en véritable chef d’entreprise et cherche à faire du chiffre ; mais on sent de manière implicite que la couleur représente pour lui une forme de modernité, de jeunesse et donc d’avenir. Lui qui voulait à tout prix être en prise directe avec son époque ne pouvait donc pas y rester insensible.
Capa in Color de Cynthia Young est publié par Prestel

Qui était Robert Capa ?
Né en 1913 en Hongrie, mort prématurément en Indochine en 1954, Andrei Friedman, qui se fera appeler Robert Capa à partir de 1936, est considéré comme le plus grand photoreporter du XXème siècle. Ses photos d’un combattant blessé à mort pendant la guerre d’Espagne ou de GIs en train de débarquer sur une plage de Normandie ont fait le tour du monde. Amateur de jolies femmes, grand fêtard, ami d’Hemingway, il est toujours là où ça se passe : Espagne en 1936, Chine en 1938, Afrique du Nord en 1943, France en 1944, Allemagne en 1945, Israël en 1948, Indochine en 1954. Après guerre, il fonde l’agence Magnum avec des amis dont Henri Cartier-Bresson et David Seymour. Ses photos couleur ont longtemps été négligées au profit de son travail en noir et blanc.

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