« Pour plus de rigolade, jouez à saute-mouton »
Retour d’Afrique du Nord à la mi-août. Je quitte un pays où tout l’été les émigrés reviennent depuis l’autre côté de la Méditerranée montrer leur belle voiture à la famille et klaxonner dans les fêtes de mariage. Dans l’avion, les journaux que je feuillette évoquent l’arrestation d’immigrés subsahariens illégaux. A chacun ses exils, ses espoirs et ses peines. A mon arrivée à Genève, parmi mon millier de mails, plusieurs m’incitent à retourner à l’expéditeur le tous-ménages, visiblement perdu dans mon courrier postal, que l’UDC a fait parvenir à travers la Suisse (y compris aux étrangers ne bénéficiant pas du droit de vote…) afin de récolter des signatures pour son initiative visant à renvoyer les délinquants étrangers. A le retourner sans signature, juste pour faire payer les frais de port au parti de Blocher.
Dans un premier temps, j’ai trouvé cela un peu mesquin et triste de devoir combattre le populisme par de telles méthodes. C’était avant de lever les yeux dans les rues de Genève. En bas du quartier des Grottes, en format géant, un mouton blanc chasse du troupeau, installé sur une prairie patriotique rouge à croix blanche, un mouton…noir! Le coup de pied est rageur. Le slogan: « Pour plus de sécurité ». On a giclé sur l’affiche un pot de peinture noire qui a laissé un grand arc de cercle. Et quelqu’un a écrit: « J’ai honte ». Moi j’ai honte, j’ai peur et je suis en colère. Je vois les troupeaux mêlés de noir et de blanc, de moutons et de chèvres du pays traversé cet été. Je vois l’astrakan, luxueuse fourrure d’agneau noir pour laquelle on fait avorter ou on égorge des brebis. Je vois surtout le noir une nouvelle fois stigmatisé comme emblème du mal, image de tous les empêcheurs de paître et de ruminer entre soi. Je vois surtout l’appel à la haine.
J’ai continué ma marche, triste. Et puis j’ai vu d’autres affiches de l’UDC. Aucune n’avait résisté au détournement de slogan « Pour plus de sécurité, jetons Blocher », propose l’une. « Pour plus de rigolade, jouez à saute-mouton », lance une autre. J’ai retrouvé le sourire et l’espoir. Et si l’UDC rendait les passants créatifs au lieu de les transformer en troupeau bêlant et apeuré?
J’ai lu que, selon un porte-parole de l’UDC, ces réactions sur les affiches sont comprises dans le plan marketing du parti. Ce qui revient à dire que l’UDC manipule tout et tout le monde… Un peu frime, non? Faut-il rappeler que quand Panurge, chez Rabelais, veut s’amuser avec les moutons en en précipitant un à la mer, tous suivent en l’entraînant dans la noyade? J’ai aussi pensé aux « nez noirs » ces incroyables moutons à la frimousse charbonneuse du Haut-Valais. Je les ai imaginé bêler sous les fenêtres d’Oscar Freysinger!
Ma colère a repris en découvrant, sous forme de publicité dans la presse, une version encore plus dramatique. Où l’expulsion du mouton noir est justifiée par un crime. C’est bien sûr lui qui a planté un couteau dans le flanc du blanc mouton les pattes en l’air!
Et j’ai repensé au « retour à l’expéditeur » de l’initiative. Après tout, la thématique du retour, c’est un thème connu pour l’UDC, non?