Le rapport qualité/prix n’existe pas
Avec près de 15 ans d’expérience dans les médias, dont 10 à la tête de mes propres sociétés, toutes les données me prouvent que l’une des règles les plus fondamentales de l’économie n’est que théorique et que, dans les faits, le rapport qualité/prix n’existe pas.
En effet, dans les médias comme ailleurs, il y a deux grandes familles d’acheteurs, et donc de vendeurs: d’un côté, ceux dont le principal critère d’achat est le prix ; de l’autre, ceux dont le paramètre essentiel pour une acquisition est la qualité réelle. Bien sûr, ceux qui privilégient le prix n’ont rien contre la bonne qualité (mais ne sont pas prêts à payer plus pour l’avoir), et dans une moindre mesure, ceux qui se concentrent sur la qualité sont souvent ouverts à payer moins.
Etrangement, une majorité d’acheteurs se présente comme étant guidée par la rationalité, fixée sur le rapport qualité/prix, alors que l’absence de ce ratio dans l’analyse des transactions saute aux yeux. On retrouve cela dans toutes les chaînes de valeur, de l’appel d’offre étatique au choix (souvent forcé par ses ressources) entre des aliments « discount » ou « de luxe » dans un supermarché. Evidemment, comme pour des accessoires de luxe, la force de la marque peut permettre de vendre au prix de la « qualité » des produits bas de gamme.
Qu’il soit motivé par une stratégie explicite des actes d’achats ou par une motivation psychologique implicite des acheteurs, on retrouve ce pli comportemental dans tout le secteur des médias et de la communication.
En termes de communication, le marché a toujours accepté l’idée d’un écosystème regroupant des agences, avec des services chers et perçus comme de qualité, et des indépendants, spécialisés et beaucoup plus compétitifs. Le fait que les premières externalisent une grande partie de leurs mandats sur les deuxièmes, assurant la gestion globale des projets et prenant de confortables marges au passage, ne change rien: les clients passent toujours par les agences, en se disant qu’à ce prix là, les services ne pourront être que de bonne qualité. Un photographe indépendant ratera souvent les mandats des marques de luxe, en proposant des services à un prix largement suffisant pour lui, mais trop bas pour être perçu par le client comme en phase avec sa politique de qualité et l’importance de sa marque. Entre les deux, la tendance émergente des indépendants regroupés en « agence collective » progresse, facilitée par les télécommunications toujours plus accessibles et la logique 2.0 des réseaux de talents.
La même logique non exprimée s’applique aux marchés des médias et nouveaux médias, les premiers plutôt concentrés sur la qualité, les seconds intéressés par de grandes quantités de contenus à bas prix. Dans la pratique, les médias traditionnels comme les nouvelles plates-formes, combinent les deux stratégies en fonction des départements, des sections thématiques et des différents publics-cibles visés: un site web ou une télévision pourra toujours investir de belles sommes pour l’achat de contenus phares, en compensant cet investissement par des achats « quantitatifs » dans d’autres secteurs.
La convergence peut changer cela. Bien faite, la convergence entre les médias libère des budgets et offre donc plus de qualité chez chacun. Obligatoire, la convergence entre média et technologie diminue les barrières entre secteurs, permettant une meilleure information des acteurs en présence et une compétition plus intense sur le marché. Enfin, inévitable, la convergence entre publics, consommateurs et « usagers actifs », impose de remettre la création de valeur ajoutée au centre de la relation entre médias et usagers, entre émetteurs et récepteurs.
Après quelques années, je me suis rendu compte que beaucoup de nos difficultés de démarrage en 2001 étaient basées sur le fait que personne ne s’intéressait au ratio qualité/prix alors que tous nos produits tiraient leur spécificité et leur rareté de cette combinaison unique. Aujourd’hui, je me dis que nous n’aurions pas pu choisir un meilleur défaut, car après cette première décennie numérique du troisième millénaire, il apparaît à tous que la promesse du rapport qualité/prix doit enfin être tenue, pour garder les audiences tout en continuant à faire croître les entreprises.
Clément CHARLES
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