Normalité revendiquée
Interview de Jacques Matthey, Directeur général de la Société Neuchâteloise de Presse (SNP)
A la tête de L’Express et de L’Impartial, ce Neuchâtelois est un homme de presse comme le prouve sa carrière. Entré en 1998 à la Société Neuchâteloise de Presse en tant que directeur commercial et marketing, il en devient directeur général adjoint en 2007 et directeur général en 2008. Pragmatique, il a su donner une image professionnelle et neutre au « groupe Hersant » que beaucoup présentaient comme une menace pour la presse romande. Ses plus grands succès : avoir stabilisé ces deux titres et avoir développé une offre numérique cohérente face à des groupes média beaucoup plus puissants.
Jacques Matthey, L’Express et L’Impartial et Arcinfo.ch sont dans le giron de SNP, La Côte fait formellement partie des Editions Cherix, et Le Nouvelliste appartient à Rhône Média Holding. Pas facile de s’y retrouver dans le « groupe Hersant » !
C’est exact. Ce que vous appelez le Groupe Hersant, et dont le nom exact est Editions Suisses Holding (ESH), rassemble effectivement des sociétés dans lesquelles ESH a des partenaires qui sont des actionnaires historiques de ces sociétés. Nous les respectons, tout comme nous respections l’identité de ces entreprises, et on ne peut pas, dans ces conditions, tout fusionner dans un seul creuset, comme savent si bien le faire les groupes suisses allemands qui viennent s’emparer d’entreprises romandes. Eux substituent leur identité et leur culture à celles des entreprises qu’ils contrôlent. Nous cohabitons avec des identités préexistantes. ».. Etcomme nos marques jouissent d’une notoriété et d’une assise locale très forte et que nous communiquons rarement au niveau du groupe, il n’y a aucune urgence à imposer un label commun.
L’image associée au « groupe Hersant » vous fait-elle encore du tort ?
Il y a une grande confusion à ce sujet. Les activités de Philippe Hersant en Suisse sont totalement déconnectées du groupe Hersant France. Lorsque l’on évoque ce terme c’est à dessein et toujours de manière négative. Toutefois si l’on analyse froidement la situation, le rachat de L’Express, L’Impartial, La Côte et Le Nouvelliste n’a eu d’autre but que de développer des titres existants. Il n’y a eu ni destruction de valeurs, ni cannibalisation. Les marques ont été respectées, le management local a été maintenu et les centres d’impression ont fait l’objet d’investissements et ont trouvés de nouveaux clients. Comparés à d’autres acteurs médiatiques romands, nous ne sommes pas plus menaçants que Tamedia ou Ringier.
Quid de La Liberté ? Le titre qui vous manque pour terminer la ceinture autour du bassin lémanique ?
La balle n’est pas dans notre camp. La Liberté a décidé d’ouvrir son capital et l’éditeur de ce titre est libre de choisir ses partenaires, au rythme qui lui convient
Quels sont vos atouts ?
Ce qui plaide en notre faveur : la situation géographique de nos titres, notre management décentralisé, le respect des identités, le développement éditorial, la rénovation des centres d’impression, la rentabilité de toutes nos marques. Bref, le travail que nous menons depuis ces deux dernières années. Ce n’est évidemment pas à nous de dire si nous sommes le meilleur candidat, nous sommes simplement intéressés à examiner une possibilité qui a été évoquée par le management de La Liberté, et , en fonction de cet examen, on verra bien ce qu’il se passe.
Revenons à vos titres. La dernière vague de MACH Basic 2012/1 révélait une progression dans l’intervalle de confiance de 6000 lecteurs pour L’Express et 1000 lecteurs pour L’Impartial. Vous réussissez à progresser ou du moins à stabiliser votre audience là où des plus grands titres stagnent ou baissent.
L’Express et L’Impartial ont réussi à croître, ou du moins à se stabiliser alors que le contexte sociodémographique ne joue pas en leur faveur. En effet, le canton de Neuchâtel a longtemps perdu des habitants. Suite à la crise horlogère des années 70, il a fallu attendre le début des années 2000 pour retrouver des flux faibles mais positifs. Sans arrière-pays, nous n’avons aucune zone d’expansion possible.
Lors de la guerre des gratuits (Matin Bleu et 20Minutes), où 40’000 exemplaires gratuits étaient diffusés dans le canton de Neuchâtel, nous avons également pu constater à quel point cette presse régionale jouissait d’un fondement identitaire très fort.
Autre titre du groupe ESH, Le Nouvelliste est dans une situation encore plus favorable : l’ancrage local est tout aussi développé, mais s’y ajoute une population en croissance, ainsi que l’attachement de la diaspora valaisanne, quiconstitue un réservoir hors cantonal important.
Compte tenu de la révolution médiatique que nous vivons, la stabilité et la croissance de nos titres est un signal extrêmement encourageant.
Au printemps dernier vous avez rassemblé les forces éditoriales de l’Express, L’Impartial, La Côte et Le Nouvelliste sur Neuchâtel pour la rédaction du deuxième cahier regroupant les rubriques Monde, Economie et Société. N’est-ce pas un début de convergence entre vos titres, que vous décrivez pourtant comme autonomes ?
Ce rapprochement n’a nullement été décidé pour des raisons de rationalisation budgétaire. Nous ne visions pas des économies d’échelle mais nous sommes arrivés à la conclusion qu’en regroupant nos forces, nous pourrions nous offrir plus de forces éditoriales pour développer des pages qui étaient précédemment gérées par des équipes extrêmement réduites et basées uniquement sur les agences.. Par ailleurs, nous avons conclu un accord exclusif pour la Suisse avec le quotidien français Le Figaro. La seule manière pour nous d’avoir des correspondants à l’international.
Est-ce là la mission d’un régional ?
Que nous soyons les mieux armés pour traiter le local ne signifie pas que nous nous interdisions l’international. Les lecteurs nous jugent également sur ces pages. Comme ils nous attendent sur le web et les divers supports mobiles.
A ce propos, quelle est votre politique éditoriale numérique ?
Nous travaillons clairement dans une logique de complémentarité. D’un côté l’information en continu, tant régionale, nationale qu’internationale, qui est en accès gratuit. De l’autre les déclinaisons numériques iPad et epaper des quotidiens, avec de l’enrichissement vidéo et photo, qui sont accessibles via nos offres d’abonnement, print ou numérique. Nous voulons très clairement être leader sur l’information online dans nos zones de diffusion, avec un positionnement de site de première lecture : c’est la mission d’Arcinfo.ch, un site transversal pour nos titres, L’Express et L’Impartial, que nous développons avec la télévision régionale Canal Alpha, qui se charge de la partie vidéo.
Cette stratégie se décline à l’identique sur les sites du groupe ESH : arcinfo.ch, lenouvelliste.ch et lacote.ch, avec un réel succès : depuis novembre 2011 et le lancement de nos nouvelles offres numériques, nous avons pratiquement doublé notre audience et notre trafic. Les sites ESH aujourd’hui, ce sont 300’000 visiteurs uniques par mois.
Comment gérez-vous votre version ePaper et iPad afin d’éviter la cannibalisation entre vos différents supports ?
Nos abonnés print et numériques ont accès à la version print qui a été rendue dynamique grâce à l’intégration de vidéos ou de galeries photos.
Pour ce qui est du mobile, chaque titre à son application, qui reprend le flux de news produit par notre rédaction de L’Info en continu et une offre d’informations servicielles (météo, cinéma, etc.).
Vous êtes parmi les derniers éditeurs romands encore en régie exclusive avec Publicitas. Cette relation couvre-t-elle également la publicité online ?
Pour ce qui est du print, nous maintenons une excellente relation avec Publicitas. Cette régie est le parfait interlocuteur pour nous car elle incarne et défend parfaitement nos titres.
En ce qui concerne le digital, nous avons opté pour une autre stratégie. Nous pensons qu’il est essentiel de promouvoir nos marques numériques à l’interne. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir recours à des régies comme Goldbach ou Publicitas, mais de manière non exclusive.
Vous dites que parler du numérique vous lasse, que doit-on comprendre par là ?
Qu’il n’y a plus pour moi de différence entre le « off » et le « online ». L’enjeu, c’est la pertinence du contenu. Nos marques doivent évoluer sur tous les supports, la question n’est plus là. Désormais, nous devons penser plus loin. Dès cet automne, je vous en dirai plus…
Propos recueillis par Victoria Marchand