Terre des hommes : Réinventer l’image du « Fundraising »
En proposant une campagne en français pour le marché national et en imaginant une nouvelle écriture créative pour une opération de levée de fonds, l’agence Numéro 10 a remporté le mandat pour la dernière opération de levée de fond de Terre des hommes suisse.
Les agences aiment bien les campagnes pour les causes humanitaires qui leur permettent, contre une plus faible rémunération, une plus grande liberté de ton. Les créatifs peuvent donc se « lâcher » sans trop se soucier du positionnement de l’association. Rien de tout cela avec la campagne Terre des hommes : cette fois-ci on a fait justement l’inverse. « Les responsables de cette ONG cherchaient un concept créatif et nous sommes arrivés avec une stratégie », explique Gilles Aeby, fondateur de cette agence bilingue installée à Berne. « En effet, en analysant la marque Terre des hommes, nous nous sommes rendus compte qu’il ne suffisait pas de travailler sur le COMMENT mais qu’il fallait redéfinir le POURQUOI. »
La plupart des ONG, créées voici quelques décennies, peinent à toucher un public de jeunes donateurs. Sensibilisés principalement par les réseaux sociaux, ils ont du mal à faire la différence entre des associations qu’ils ne connaissent pas. Surtout, lorsque comme Terre des hommes, l’appellation ne correspond pas à la réelle mission de l’association. Dans le cas présent, il s’agit d’aider les enfants et non des adultes. Autre obstacle : comment toucher un public d’alémanique avec une appellation en français ? « Nous devions répondre à ces questions avant même de commencer à concevoir la ligne graphique. »
Tous les enfants ont des rêves
Convaincu que l’on pouvait capitaliser sur le travail accompli ces dernières années par Terre des hommes, l’équipe de Numéro 10 a décidé de transformer ce qui pouvait apparaître comme des faiblesses en points de force. Ainsi, puisque les enfants sont au centre de l’action de l’ONG, il fallait les mettre en avant. « Mais pas question de montrer des images de détresse, on a trop utilisé ce genre de ressort pour des demandes de dons. Le public ne veut plus se sentir culpabilisé. » Alors, puisque cette association cherche à améliorer le bien-être des enfants, pourquoi ne pas mettre en avant le résultat de cette action avec des enfants en train de jouer ? « Tous les enfants au monde ont le droit de jouer, mais cela semble un interdit pour ce genre d’opération. C’est absurde car c’est justement lorsqu’un enfant se sent en sécurité qu’il s’amuse, ri et rêve. » Et quoi de plus normal que de créer des jouets en carton lorsque l’on est démuni de tout ? D’autant que ce matériau sert de support à l’association pour toutes ses campagnes de collectes de dons. « Les donateurs réguliers y verront un rappel aux précédents appels. »
Restait à trouver le slogan. « Terre des hommes est une association romande ; comme il n’était pas question de traduire son nom, nous avons pensé qu’il valait mieux le mettre en avant pour que le public le retienne. Nous avons donc combiné la marque – Terre de – avec l’imaginaire des enfants. Ce qui a donné : terre d’aventure, terre d’imagination, terre de fantaisie et terre de surprise. Quatre slogans qui restent en français autant pour la campagne en Suisse alémanique qu’au Tessin. De quoi offrir de la traçabilité sur l’origine de l’ONG et de capitaliser sur le nom de l’association en augmentant la mémorisation par la répétition. Et pour revenir à la réalité du terrain, le sol craquelé sur lequel jouent ces enfants nous rappelle leurs dures conditions de vie qui justifient l’appel au don.
Le plan média national comprend de l’affichage, du print, du digital, des réseaux sociaux et de la télévision. « Pour le spot, nous avons utilisé la technique du motion design. Cela accentue le capital de sympathie. Notre objectif est que le public soutienne de manière optimiste le travail de cette ONG. Rendre des enfants heureux est une mission plus tangible et atteignable que de réduire la faim dans le monde. »
[ASIDE]Questions à Lauren Silacci, Cheffe de l’unité Identité Visuelle chez Terre des hommes
Pourquoi le nom de votre ONG est-il en français ?
Edmond Kaiser, le fondateur, en avait décidé ainsi. Notre appellation est depuis restée la même, alors que nous avons 38 délégations ouvertes de par le monde.
Avoir opté pour un slogan en français, était-ce un pari audacieux ou une volonté de respecter votre identité de marque ?
Une nécessité pour nous distinguer en Suisse alémanique. Cette proposition de Numéro 10 nous a immédiatement séduits : quitte à ne pas être connu, au moins faut-il se faire remarquer. Autre point intéressant pour nous, en communiquant en français, l’ancrage romand est évident, ce qui nous distingue d’autres ONG ou d’organismes internationaux étrangers.
En plus de votre déficit de notoriété outre-Sarine, vous avez également un problème de branding et de positionnement. Le public associe votre action plutôt à une aide au Tiers-Monde qu’à l’enfance en détresse. N’auriez-vous pas pu profiter de cette extension pour changer votre appellation ?
Nous avons effectué notre dernier rebranding en 2011. Il est évident qu’une ONG ne dispose pas des moyens indéfinis pour multiplier les opérations de communication. Notre marque a une histoire suffisamment forte pour que tous ces obstacles de branding puissent être dépassés. Notre priorité est la notoriété, car notre traditionnel public de donateurs vieillit. Nous devons nous faire connaître de leurs enfants ou petits-enfants.
Vous avez commencé votre carrière dans le digital (notamment chez Electron Libre) et vous avez développé la marque Terre des hommes online. Quel est le ratio (off et online) de cette campagne ?
Un tiers online (réseaux sociaux et publicité mobile) et deux tiers en affichage, annonces et télévision. Ces opérations ont précédé notre envoi tous ménages, qui a été distribué à 3,5 millions d’exemplaires. Il s’agit de faire du branding pour augmenter le taux de conversion : le marketing d’une ONG reste du marketing.