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Une bonne idée ne fond pas

Il y a quelques années, des artistes contemporains et ddes esigners, de Damien Hirst à Alexander McQueen, se sont emparés et ont multiplié ad nauseam le motif du crâne (ou tête de mort), cher à Hamlet et aux peintres du XVIIe siècle. Ils y ajoutèrent cette petite touche pop et chic qui permettait à chacun, jusqu’aux boucles d’oreilles des petites filles, de prendre la distance nécessaire avec cette Vanité des vanités. Régulièrement, d’autres motifs analogues connaissent eux aussi une mise à jour dans le champ esthétique : bulle de savon, nuage, fumée et… bonhomme de neige.

Dans un vieux roudoudou, trois garnements pleins de bonnes intentions font fondre l’auguste personnage en voulant le réchauffer. Les enfants des années 1960 s’en souviennent ; le bonhomme, non. Quelques décennies plus tard, Valentin Carron amène de faux tas de neige sale en plastique dans les centres d’art ; Pierre Ardouvin place un bonhomme en passe de fondre dans un parc ; Francisco da Mata présente ce même personnage emblématique de l’enfance en coupe transversale. Olav Westphalen le met en scène dans un fauteuil roulant, poussé par un autre.

Sébastien Staub, jeune photographe installé à Yverdon, y est allé lui aussi de sa série de bonshommes de neige. Ses six personnages, affublés de la carotte de rigueur et d’accessoires soigneusement différenciants, ont suscité l’enthousiasme du milieu romand de la communication et lui ont valu une invitation sur Couleur 3. Dans cette petite « galerie de portraits », chacun peut se reconnaître, ou reconnaître un proche ou un voisin de ses parents. Chaque bonhomme (ou bonne-femme) est placé sur un fond pastel qui fait ressortir sa solitude et l’inscrit dans le champ d’une désuétude raffinée et touchante. Il y a de la nostalgie dans l’air ; un peu de Plonk&Replonk aussi. Mais ici, tout est suggéré. Pas besoin des textes qui appuient et, parfois, limitent la portée des images de même registre. On sourit ; la tendresse n’est pas loin.

Dans l’art contemporain, comme en photographie, recyclage et réadaptation ont souvent prouvé leur efficacité. Que serait Ugo Rondinone, par exemple, sans les cibles préalables de Kenneth Noland, les clowns de Bruce Nauman ou encore les autoportraits photographiques d’Urs Lüthi, de Jürgen Klauke en travestis ? S’inspirer de, c’est faire coup double : apporter aux prédécesseurs un hommage et une reconnaissane mérités et, à soi-même, une certaine assise culturelle. Sébastien Staub, jeune photographe autodidacte (surtout) paysagiste, n’hésite cependant pas à s’engager, en affrontant, par exemple, le Cervin de nuit pour en tirer des vues d’une indéniable beauté (et en évitant habilement, là aussi, le cliché). Il collabore aujourd’hui avec des agences romandes, alémaniques et françaises (DDB Lyon pour une campagne Compex), tout en poursuivant ses travaux personnels. Sa série « Cabanes d’eau douce » a été récemment montrée à Zurich. Il exposera prochainement à la Galerie Car’Art (Emil Frey S.A, Centre Automobile Romand) de Crissier une série de clichés mettant en vedette une Toyota Corolla Sprinter Coupé de 1970, à bord de laquelle son complice Claudio Zenger et lui-même ont récemment sillonné les routes de campagne. Le lien avec le bonhomme de neige ? La nostalgie, sans aucun doute ; mais surtout, au propre comme au figuré, une certaine idée de la décroissance.

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Huber Gauthier

Journaliste culturel, écrit notamment pour le Kunst-Bulletin et Artpresss

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