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Venise, ce n’est pas l’Italie (bis)

Oui, Venise ce n’est pas l’Italie, écrivais-je dans ma dernière chronique au début de l’été, décalant un peu la chanson de Reggiani. Je le répète ici, après avoir largement écumé la Biennale d’art contemporain au bord de la lagune. D’un pavillon à l’autre, le monde entier est là, du grouillant village africain du Camerounais Pascale Marthine Tayou au morbide décor de luxe du pavillon scandinave, on oublie tout le jour l’Italie pour la retrouver le soir sur une terrasse devant un spritz, incontournable apéritif vénitien, bitter ou dolce selon les goûts.

Venise n’est pas en l’Italie… Je ne sais si la chanson a aussi trotté dans la tête d’Aleksandra Mir, invitée à la biennale avec « Venezia (all places contain all others) ». Cette Polonaise de Palerme a fait imprimé un million de cartes postales où le nom Venise est clairement inscrit sur l’image certifiant l’identité du lieu photographié. Des vues de lac brumeux au milieu des sapins enneigés, de chutes d’eau monumentales auréolées d’un arc-en-ciel, ou de plage de sable fin bordant une mer turquoise sont ainsi envoyées dans le monde entier. Ce brouillage artistique de l’information a d’ailleurs trouvé un sponsor assez amusant puisqu’il s’agit de Ringier, éditeur féru d’art contemporain.

Etre ici, être là… Qu’importe après tout. Bientôt, ne prendra-t-on pas plus de temps pour apprendre aux journalistes à chercher de l’information sur leur ordinateur ou leur téléphone portable, avec Facebook ou Twitter, qu’à rencontrer les gens ou à réaliser des reportages?

Y aller, y être… Rêves de départ! Rêves de retour! Tout l’exposition palestinienne de la Biennale transpire cette envie de pouvoir se mouvoir. Ainsi, avec « Hannoun » (coquelicot en dialecte palestinien), Taysir Batniji expose une photographie de son atelier vide et poussiéreux de Gaza, tel qu’il le retrouve les rares fois où il peut le rejoindre depuis son exil français. Devant la photo, des taillures de crayon, semées telles des pétales de coquelicot, symbolise l’éternelle préparation au travail de l’artiste. L’animation vidéo de Shadih HabibAllah donne à voir, elle, une société miniature, composés de petits personnages reproduisant des rapports sociaux frénétiques et affolants, et qui se cognent sur les bords de l’image comme les habitants de Gaza aux murs qui les encerclent.

Khalil Rabah présente lui la 3e Biennale de Riwaq, sorte d’anti-Venise, ou plutôt de Venise paradoxale, basée dans 50 villages palestiniens, et dont il est le commissaire. De Beit Jala à Deir Istiya, de Silat adh Dhahr à Jilijliya, présentés en cartes postales à Venise, et bien sûr surtout de Venise au reste du monde, la Biennale de Riwak, veut signifier qu’un événement international peut aussi permettre de réfléchir à nos codes tant culturels que politiques. Au croisement de la défense des richesses patrimoniales et du potentiel contemporain de la Palestine, c’est toute une géographie mentale qui est en cause.

Cette première réelle participation palestinienne, attendue depuis 60 ans, classée dans les événements collatéraux, basée à l’écart sur l’île de la Giudecca, a été baptisée « Palestine c/o Venice », en référence à l’impossibilité de la Palestine à exister entièrement, sans appartenance ou délégation de pouvoir à d’autres Etats, sans même une adresse postale propre.

elisabeth@cominmag.ch

Journaliste culturel, responsable de Sortir le guide culturel du Temps.

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