« Nous sommes à l’époque des frères Lumières avec la RV et la RA »
INTERVIEW de Delphine Seitiee, Executive Director & Co-founder World VR Forum
Les 11 et 14 mai se réuniront pour la deuxième année consécutive à Crans-Montana des talents du monde de la réalité virtuelle et augmentée. Entre compétitions, démonstrations et marché professionnel, ce rendez-vous prouve que la Suisse a une carte à jouer dans ce nouveau secteur, qui devrait peser quelque 15 milliards de US$ d’ici à 2020. Fallait-il de meilleures raisons pour rencontrer cette jeune responsable qui n’a pas hésité à mettre un casque Occulus sur la tête ? Une très belle rencontre dans la vie réelle, pour évoquer un espace qui ne l’est pas !
Comment êtes-vous arrivée dans le monde de la Réalité Virtuelle (RV) et de la Réalité Augmentée (RA) ? En d’autres termes, quel est votre parcours professionnel ?
J’ai fait mes études à HEC à Annecy où j’ai obtenu un master en multimédia et communication. Puis j’ai travaillé pour l’agence Virtua dans le département web marketing. Je me suis ensuite associée avec Salar Shahna (actuel CEO et Creative Director du World VR Forum). Il venait du monde du cinéma et sortait d’une expérience chez Apelab, un studio genevois spécialisé dans le storytelling pour la RV qui a récemment ouvert une antenne à Los Angeles. Il m’a contactée afin que nous réfléchissions à la manière de promouvoir ce nouveau média. Cette recherche nous a amenés à rencontrer Clayton Doherty, qui venait du monde du théâtre, et ensemble nous en sommes arrivés à l’idée qu’il fallait concevoir un festival autour de la RV et de la RA.
Un festival en Suisse romande, cela ne peut se concevoir sans un terreau de créateurs locaux.
Justement, nous pouvons compter sur des startups et des sociétés de production très prometteuses, telles que Birdly, Atranim, Ozwe, Apelab, MindMaze… Ce festival, même s’il réunit des acteurs internationaux, peut compter sur un relais local. Nous ne bâtissons pas hors-sol !
Pourquoi avez-vous opté pour la station de Crans-Montana comme lieu de votre festival ?
Cette commune est constamment à la recherche d’une diversification de ses activités. Elle s’intéresse notamment au domaine des nouvelles technologies. Nous leur avons présenté notre projet de festival et ils se sont montrés tellement enthousiastes qu’ils n’ont pas hésité à nous soutenir et à nous accueillir.
En quoi votre rendez-vous se différencie-t-il d’autres festivals ?
Avant de nous lancer, nous avons visité différentes conférences où l’on parlait de la RV et de la RA. Nous nous sommes vite rendus compte que ces événements se limitaient à proposer des casques aux participant afin qu’ils visionnent des vidéos. Il n’y avait aucun propos, ni sur le travail effectué ni sur l’avenir de ces technologies en tant que média pouvant intéresser les créateurs ou les marques. Il y avait par conséquent un espace à prendre. C’est pourquoi nous tenons à mettre en scène les espaces de démonstrations afin que ces expériences virtuelles se convertissent en expériences vécues.
Le World VR Forum a également une compétition. De quoi s’agit-il ?
Quinze expériences virtuelles ont été retenues pour cette deuxième édition. Elles seront analysées par un jury d’experts internationaux à l’aune de la qualité de leur storytelling et de l’émotion que ces vidéos suscitent.
A qui s’adresse votre Forum ?
Du 11 au 13 mai, les conférences s’adressent principalement aux professionnels, notamment des universitaires, des chercheurs, des développeurs proches du monde du jeu ou des studios de production.
Une journée grand public est prévue le 14 mai. On pourra y découvrir le palmarès et faire les démos. L’an dernier, nous ne savions pas si ce sujet pouvait être porteur. Les quelque 1500 personnes qui nous ont rejoints à Crans-Montana nous ont confortés dans le choix de ne pas rester qu’entre pairs.
En tant qu’organisateur, quel est votre postulat ?
Bien que nous contribuions à promouvoir cette nouvelle écriture visuelle, nous voulons garder un regard critique sur l’impact de cette nouvelle technologie dans notre société. Nous sommes conscients que la RV comme la RA vont avoir un réel impact dans nos vies, d’où les thèmes de nos conférences. Le premier jour, le corps et le cerveau seront questionnés au travers des neurosciences ; on s’aventurera jusqu’au transhumanisme. Le second jour, le storytelling sera analysé via des études de cas et des expériences en RV, réussies et ratées. Enfin, le troisième jour, le B2B sera abordé avec la présentation de services pour l’industrie, la santé, le tourisme et l’architecture.
Peut-être serait-il temps de définir ce qu’est la RV et la RA…
La RV est un univers artificiel que l’on ne peut appréhender qu’au travers d’un support (p.ex. des casques de type Occulus ou des VR Cardboard). Cette immersion peut prendre la forme d’une expérience sensorielle – vue, toucher, ouïe, odorat – que l’on vit au travers d’un monde imaginaire se rapprochant ou non de la réalité. Le monde du jeu vidéo et du divertissement sont très friands de RV..
A contrario, la RA est la superposition de la réalité par des éléments (images, son, 2D, 3D, vidéos) calculés et fournis par un système informatique en temps réel. Ces informations ont pour finalité d’enrichir notre connaissance sur un sujet. Les Google Glasses ont été l’un des projets les plus retentissants dans ce domaine, et aujourd’hui Microsoft avec son casque HoloLens vise ce marché dont les applications sont multiples et touchent autant l’industrie ou les médias que le champ médical.
Le monde du cinéma est-il concerné par la RV ou RA ?
Etrangement, ce secteur reste peu concerné. Ce manque d’intérêt provient en partie du fait que l’écriture est différente. Il n’est pas possible de transformer un film en 2D en VR comme on l’a fait avec la 3D. L’idée avec la VR n’est pas de reproduire la réalité, mais d’en créer une nouvelle.
Le désintérêt d’Hollywood signifie-t-il qu’il n’a aura pas de marché pour ces technologies ?
Il est en construction et nous participons activement à le créer. Ainsi, pendant notre festival, un espace B2B permettra à des créateurs de rencontrer des investisseurs.
Quel est votre business modèle ?
Tout d’abord, une partie de nos revenus proviennent de l’organisation de ce forum. Nous sommes soutenus par la commune de Crans-Montana, Pro Helvetia, et les Swissnex de San Francisco, India et Shanghai. Nous avons également conclu des partenariats avec d’autres festivals en Chine, au Canada, en France et aux États-Unis.
Par ailleurs, nous avons une autre structure qui réalise des contenus en RV pour des marques et des entreprises. C’est ainsi que nous allons lancer après le festival une application à destination du marché chinois qui distribuera du contenu RV européen. En Chine, les arcades RV ont fleuri, mais les vidéos proposées ne sont pas de grande qualité. Nous avons pu faire partie d’un incubateur, soutenu par le gouvernement chinois, et ainsi nous pourrons faire du transfert de contenu qui sera traduit. C’est la seule façon de freiner le piratage de contenu, car les Chinois ne veulent pas acheter du contenu mais sont d’accord de partager les revenus.
Enfin, nous avons créé l’association VR Lab, qui met à disposition du matériel pour les jeunes développeurs. Freestudios nous aide dans ce projet et héberge depuis peu nos bureaux.