Une agence, un jour : Field London
Fondé à Londres en 2009 par Vera-Maria Glahn et Marcus Wendt, Field s’est très vite imposé comme un studio de référence dès qu’il s’agit de conjuguer algorithmes et conception graphique. En particulier, ils ont porté une attention particulière à explorer le design génératif. Grâce à une série de projets très variés, en particulier un mur interactif spectaculaire dans le lobby de la filiale hongkongaise de Deutsche Bank, Field propose une formule particulièrement convaincante des convergences qui s’établissent entre stratégies commerciales et arts numériques.
Sur quelles bases avez-vous débuté votre collaboration et comment définissez-vous votre champ d’activité ?
Marcus Wendt: Nous avons tous étudié à l’Ecole d’Art et de Design de Kassel. Si nos centres d’intérêt portaient sur des thèmes totalement différents, nous nous sommes rapidement aperçus que nous partagions une même passion pour les formes de design découlant de la programmation informatique. Rapidement nous avons cherché à nous servir des outils offerts par les nouveaux médias pour les appliquer au design graphique.
Comme le domaine des arts numérique, surtout en Allemagne, est trop refermé sur lui-même, nous nous sommes intéressés au travail de pionniers, tels Manfred Moore ou Karl Gerstner qui avaient développé des langages très innovants durant les années 60.
Notre travail de mémoire se présentait sous la forme d’un petit film qui, à bien des égards, posait les bases de ce qu’allait devenir Field. Nous avons eu la chance de pouvoir combiner dès le début design graphique, communication visuelle et les nouvelles formes de systèmes génératifs. Nous nous sommes donc spécialisés directement dans le design à partir du code. Ainsi, nous cherchons à relier divers algorithmes afin de réaliser toutes sortes de simulations. L’idée est vraiment de faire ressortir à chaque fois le maximum des potentialités d’interactivité offertes par ces nouvelles plateformes.
Pourquoi avoir développé des systèmes de génération automatique dans l’univers du design graphique ?
Le déclic s’est opéré en 2007 pendant un stage à Londres au sein du collectif Tomato. Ces derniers font partie de la première génération de designers qui produisaient des CD roms ou qui créaient du code à des fins créatives. À cette période, je savais déjà faire de la programmation de site web, mais les gens de Tomato m’ont fait découvrir que lorsqu’on fait coexister une interface, une stimulation physique et des échantillons de comportements prédéfinis, il est possible de créer des formes et des structures continuellement renouvelées. Le design semblait soudainement prendre vie et cela a totalement changé ma manière d’aborder les questions d’interaction.
A la fin de nos études, en 2009, on nous disait que nous étions un peu fous de venir tenter notre chance à Londres. Cependant, il n’y avait alors pas beaucoup de studios spécialisés et cela nous a permis de faire très rapidement des contacts avec des agences. Tout s’est enchaîné naturellement et notre studio compte actuellement cinq collaborateurs à plein temps ; en fonction des mandats, ce nombre peut atteindre ponctuellement jusqu’à vingt personnes.
L’interactivité a connu un boom spectaculaire, est-ce toujours le cas ?
Lorsque nous avons commencé, l’engouement pour le design génératif était énorme. Début 2010, le Victoria & Albert Museum présentait une exposition intitulée Decode : Digital Design Sensations. Ce type d’exposition a permis de faire découvrir ces nouvelles formes d’esthétique au public. D’un seul coup, tout le monde voulait avoir des visuels génératifs.
Avec l’iPhone, l’iPad, etc., l’idée d’interactivité est devenue extrêmement commune. Toutefois les gens ont pris conscience que cela reste des formules appropriées en fonction de besoins spécifiques. Le computational design, qui recouvre tout ce qui peut être réalisé à l’aide d’algorithmes, permet de créer des systèmes générant des images qu’il est impossible de réaliser à la main. Nous avons par exemple développé un système avec GFSmith, intitulé Ten thousand paintings, qui nous a permis de générer 10’000 peintures uniques à partir d’une forme élémentaire.
Votre projet de mur interactif pour la filiale de la Deutsche Bank à Hong Kong va encore plus loin en matière d’expérimentation…
Nous envisageons l’interaction selon deux angles spécifiques. Au départ, nous avons exploré des modes d’interactions directs, comme la création d’atmosphères magiques dans un environnement physique grâce à des senseurs ou des trackers déclenchant des animations.
A l’heure actuelle, comme pour le mandat de la Deutsche Bank réalisé en collaboration avec Universal Everything, nous travaillons sur des formes d’interactions plus indirectes, en puisant dans des formes provenant des marchés boursiers qui animent un vaste écran disposé dans le lobby. Nous avons ainsi conçu une série de petits films qui démarrent lorsqu’une personne passe devant le mur. Les différents scénarios s’appliquent à différentes mégalopoles et évoluent continuellement en fonction des cours boursiers. Cette banque voulait mettre en évidence son aptitude à analyser les moindres fluctuations des marchés boursiers grâce aux différentes techniques d’analyse et de traitement des informations dont ils disposent. Cette expérience a été très enrichissante à plus d’un titre. Tout d’abord, cela nous a permis d’apprendre énormément sur la gestion de gros mandats, tout en nous permettant d’aller plus loin dans notre expérimentation.
Avez-vous vu eu l’occasion d’appliquer cette gestion interactive des informations à d’autres projets ?
Nous terminons actuellement un projet pour l’antenne australienne de General Electric (GE). Il s’agit d’une installation audiovisuelle qui voyage à travers le pays. Elle est composée de deux monolithes de quatre mètres de hauteur et munis de LED. Cette installation s’intègre dans la campagne « Two words for tomorrow», à travers laquelle GE demande à la population de donner son impression sur l’avenir. En nous basant sur les informations fournies, le programme que nous avons conçu permet de générer des animations chaque fois qu’un nouveau mot est soumis. Cela offre quelque chose de très dynamique, puisque les gens peuvent prendre conscience « en direct » de la diversité de ce flux continu de mots. Nous sommes constamment entourés d’ordinateurs, mais la complexité des données qui transitent à travers ces machines est en général difficilement représentable et il n’existe pas vraiment d’images pertinentes pour les mettre en scène. L’usage des méthodes de « visibilisation » permet de capturer un peu ces différents flux et de montrer la beauté des réseaux, d’offrir un aperçu des dynamiques et des processus à l’intérieur des machines. Si, en plus, il est possible d’ajouter une touche artistique, cela ne peut qu’engendrer des choses intéressantes.
Quels enseignements tirez-vous de ces expériences ?
Que les grandes entreprises sont de plus en plus disposées à considérer ces mandats comme des projets artistiques. En design, le processus fonctionne toujours sur un principe de questions et de réponses, ce qui peut être quelquefois laborieux en terme d’échanges et de discussion. Avec nos interventions, qui impliquent une certaine connaissance technique, les responsables n’ont pas une idée très claire sur les formes du projet. Par conséquent, ils préfèrent déléguer tout ou partie des décisions créatives.
Il y a actuellement une grosse demande pour les réalisations visuelles, ce qui nous a poussés à faire un travail de développement en amont, en suivant nos propres motivations. Ainsi lorsqu’un client nous contacte, nous pouvons lui proposer des projets déjà opérationnels facilement adaptables en fonction de ses besoins spécifiques. Du même coup, nous nous profilons ainsi comme un studio spécialisé dans les arts numériques, ce qui intéresse les institutions culturelles.
Des exemples ?
Notre projet « Communion » a été récemment présenté à la Gaîté Lyrique|Révolutions Numériques de Paris. Il s’agissait d’un algorithme inspiré du jeu Space Invaders qui permettait d’animer des milliers de petites créatures graphiques.
Même si ce n’est pas toujours facile, nous essayons de privilégier la part créative, en développant d’un projet à l’autre de nouvelles techniques et en apprenant de nouveaux langages, ce qui nous évite de rester cantonnés dans un domaine spécifique. Il est toujours possible de développer de nouvelles esthétiques, de nouvelles manières de réfléchir. Le prochain pas qui s’impose aux entreprises sera d’amener les différentes idées créatives à une audience plus large.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
La question du What’s Next ? nous obsède. À l’heure actuelle, le buzz qui enveloppe les évolutions technologiques a créé une sorte de vacuum du fait des dimensions commerciales et de l’usage des médias sociaux qui se développent tellement rapidement que les propositions graphiques ont de la peine à suivre la cadence. Un territoire énorme s’offre aux graphistes qui se doivent de trouver les nouvelles formes de communications visuelles spécifiques pour ces médias.
En ce moment, nous sommes particulièrement intéressés par l’exploration sous toutes ses formes du storytelling qui peut être appliqué aux techniques de prises de vue. Nous travaillons à la réalisation d’une série de 12 films d’animation réalisés à l’aide de langages totalement inédits. Nous testons pour l’instant les potentialités, mais l’idée est de parvenir à définir des esthétiques totalement inédites et nous avons déjà l’intention de réaliser une application pour iPad qui devrait être terminée en octobre. Cela nous permet surtout d’approfondir nos connaissances en matière de systèmes de génération automatique.
L’idée est de mettre directement ces films à disposition du public sans pour cela devoir répondre aux requêtes d’un client ou d’un distributeur. Nous avons également eu la chance de recevoir un soutien pour présenter le projet sous forme d’installation à São Paulo, Pékin et New York en octobre prochain.
Où vous mènent vos recherches ?
À l’heure actuelle, nous développons un système intitulé « Field ID » qui permet de générer une quantité infinie de design accessible à travers un service online. Ça peut sembler un peu obscur, mais c’est une manière efficace de repenser en profondeur les questions touchant au corporate identity. Il est possible de créer des logos qui sont réactifs aux différentes données transitant à travers les réseaux sociaux ou les réseaux financiers. Il est ensuite possible de les utiliser sous n’importe quel format, de les lier avec d’autres services qui, en quelque sorte, permettraient de voir l’évolution ou l’état de la société en fonction de la modification de son logo. Cela correspond à notre envie de donner vie aux représentations visuelles.
Propos recueillis par Joël Vacheron