Interviews

Les prochains chantiers du e-commerce en Suisse

Qui mieux que Carlo Terreni, directeur général de NetComm Suisse, pour faire le point sur la force du e-commerce en Suisse ? Cette association réunit en effet des e-commerçants et aide ses membres à mieux appréhender l’univers du commerce en ligne.

Avec une dépense annuelle de CHF 2491 par an, comment se situent les Suisses dans le classement des clients du e-commerce ?
En Suisse, plus de 90% de la population est connectée à Internet et plus de 90% des Suisses ont consulté et acheté au moins une fois l’an dans une boutique en ligne.
En ce qui concerne les dépenses moyennes, le fait que notre pays soit en tête du classement du revenu per capita rend notre marché très attractif pour des « pure players » du e-commerce tels que Zalando ou Amazon.

Une particularité du marché suisse est l’attachement à la facture ? Est-ce encore et toujours le cas, et pourquoi ? 
Selon notre étude Swiss eCommerce Consumer Behaviors, plus de 40% des transactions en ligne sont payées par facture et c’est de loin la méthode de paiement préférée dans notre pays. Ce comportement est quelque chose d’unique par rapport aux autres marchés.

Le « Click and Collect » se développe sur un marché où la couverture commerciale est très forte. Est-ce la solution du futur pour le commerce traditionnel ?
Dans des catégories telles que les produits technologiques, les livres, la mode, les aliments et les boissons, environ 10% des acheteurs en ligne adoptent le « Click and Collect » dans le mode d’achat standard.
Il est intéressant d’observer que plus de 40% des personnes interrogées souhaiteraient y recourir, malheureusement très peu d’entreprises offrent cette option à ce jour. En fait, seules 5% des entreprises suisses possédant un site de e-commerce ont envisagé ce mode de distribution. C’est vraiment le « paradoxe du commerce électronique suisse » où les acheteurs sont plus proactifs que les e-commerçants !

Force est de constater que les centres commerciaux connaissent une forte baisse de fréquentation : sont-ils encore d’actualité et pour combien de temps ?
En janvier dernier, j’étais à New York et à la recherche d’un ouvrage sur l’innovation je suis entré dans un centre commercial. Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que sur cette 5e Avenue, le magasin qui vendait des livres se nommait Amazon !
Le e-commerce a commencé à profondément ébranler le commerce traditionnel. Les détaillants comme les responsables de centres commerciaux doivent adapter leurs offres, notamment auprès des Millenials, un public qui ne comprend plus qu’il faille se déplacer alors qu’on peut recevoir la même marchandise directement chez soi. Il est urgent de revoir les stratégies commerciales pour offrir une véritable expérience omnicanal aux clients.

Quelle est la formule gagnante pour le commerce du futur ?
Je pense qu’il a en fait trois pistes envisageables. La première, il faut créer une approche omnicanal avec une offre en ligne. La seconde (personne n’y coupera) passe par le développement de nouveaux services. La troisième consiste à proposer des expériences aux consommateurs.
Aux États-Unis, où de nombreux chercheurs annoncent une « apocalypse du commerce de détail », des sociétés comme Macy’s planchent sur de nouveaux formats de magasin, comme par exemple les F&B de Fashion Mall, ou dans la restauration avec des propositions multi-ethniques permettant d’attirer un public-cible spécifique dans chaque magasin.
Koala, en Suisse Romande, offre aujourd’hui la possibilité de faire ses courses via la tablette dans un magasin physique, ne contenant pas de stock, et de recevoir ses achats chez soi.

On parle beaucoup de l’arrivée d’Amazon.ch. Est-ce une menace pour les commerçants suisses ?
Amazon.ch pourrait vraiment modifier l’équilibre du commerce suisse si cette plateforme venait à offrir, comme aux Etats-Unis, la livraison dans la journée. Dans ce cas c’est tout le secteur qui serait impacté, y compris l’industrie du commerce électronique composée d’acheteurs en ligne, de marchands et de prestataires de services pour les e-boutiques, d’agences, de fournisseurs de solutions de paiement et de logistique, etc.
C’est pourquoi, au sein de NetComm Suisse, nous planchons actuellement sur la création d’un observatoire permanent, qui surveillera toutes les implications de l’évolution du commerce électronique pour la Swiss eConomy.
Nous devons nous assurer de recueillir suffisamment de données et de connaissances pour aider les législateurs et les politiciens à prendre les bonnes décisions. C’est pourquoi nous sommes à la recherche de fondations et de partenaires pouvant nous aider à mettre en place un tel observatoire.

N’est-ce pas plus préoccupant pour les médias, qui vont se trouver face à un nouveau concurrent dont la plateforme est également très puissante en termes publicitaires ?
Un de mes amis travaillant dans la presse m’a fait cette réflexion : le gâteau digital publicitaire est relativement stable, le problème c’est que le nombre de sites ou de réseaux sociaux où l’on peut communiquer ne cesse d’augmenter. L’arrivée des plateformes de commerce électronique va encore complexifier l’achat d’espace.

87% des internautes lisent au moins une newsletter. Quel est le meilleur plan média pour toucher les internautes ?
Cela dépend vraiment des entreprises ou des secteurs. Raison pour laquelle il est essentiel pour les annonceurs de travailler avec les bons consultants et d’investir dans la formation de ses équipes internes.

La protection des datas va devenir un sujet de plus en plus sensible. Le projet d’une E-ID est-il la solution pour pouvoir naviguer de manière anonyme ?
Cette problématique est LE sujet pour 2018, en particulier en raison de la mise en application du règlement européen GDPR. Dans cette optique, le E-ID est un projet intéressant mais je ne suis pas sûr qu’il faille appréhender le partage de données comportementales uniquement de manière négative.
Chez NetComm, nous préférons l’approche de la marque de confiance BuySafe.Swiss et travailler à augmenter le niveau de sécurité des TIC des e-commerçants qui adoptent le label.

Pour revenir sur Amazon, peut-on imaginer que des services du type Premium, livraison de produits frais, vont être à disposition des Suisses ?
Les clients suisses n’attendent que cela, mais nous devons nous assurer que nos entreprises suisses puissent pouvoir en faire autant sur d’autres marchés.
Force est de constater que vouloir freiner Amazon avec des législations et des barrières légales n’est pas la solution. Nous devrions mettre toute notre énergie à créer de telles opportunités pour nos détaillants sur la Toile.

Quels sont les objectifs de votre association Netcomm ?
Nos objectifs sont très clairs, nous souhaitons soutenir la croissance de notre industrie, composée à la fois de détaillants et de fournisseurs de services TIC, de paiements ou de logistique.
Notre action prend la forme d’événements, de séminaires, de formations, de recherches et de lobbying. Aujourd’hui nous représentons 230 membres en Suisse et nous sommes sollicités pour intensifier nos activités.
Stratégiquement nous réfléchissons actuellement à la réalisation de trois grands projets : la création d’un observatoire permanent pour surveiller les prix d’Amazon et le nombre de détaillants suisses ; l’élaboration d’un wiki de commerce électronique pouvant aider et soutenir tout entrepreneur désireux de démarrer un projet de commerce électronique ; et la recherche d’investisseurs nationaux et internationaux intéressés à la recherche d’opportunités dans Swiss ICT et le Swiss Retailer.

www.netcommsuisse.ch

Victoria Marchand

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