Cinéma suisse : une branche sous pression, en quête d’unité

Le cinéma suisse traverse une zone de turbulences sans précédent. Ces dernières semaines, des dénonciations anonymes dans la presse ont visé des professionnels et des institutions comme Cinéforom, accusés de favoritisme ou de copinage. Ces attaques, symptomatiques d’un climat de défiance généralisé, ne sont pourtant que la partie émergée d’un malaise bien plus profond. C’est ce qui a poussé l’association Fonction: Cinéma, qui réunit les professionnels de cette branche en Suisse romande a envoyé une newsletter à tous ses membres.
Un contexte politique très défavorable
Derrière les tensions individuelles se cache une réalité structurelle : le système de financement du cinéma suisse est en train de s’effriter. Depuis plusieurs années, les conditions-cadres se sont durcies : attaques politiques répétées contre la SSR, baisse des recettes publicitaires, et une votation à venir – « 200 francs, ça suffit ! » – pour baisser la redevance. Or, la SSR est l’un des trois piliers essentiels du financement des films indépendants via le Pacte de l’audiovisuel. Si ce pilier venait à s’affaiblir, c’est tout l’édifice qui vacillerait.
Parallèlement, la pression sur les fonds sélectifs explose qui fait que seuls les projets jugés les plus solides ou prometteurs reçoivent un soutien financier. En effet, la fondation Cinéforom et l’Office fédéral de la culture (OFC) enregistrent une hausse de 30 % des projets soumis, sans augmentation des budgets. Mécaniquement, les refus se multiplient, alimentant frustration et colère dans les rangs des professionnels. A cela s’ajoute une décision particulièrement problématique : les nouvelles missions confiées à Cinéforom et à l’OFC (aides au numérique, promotion nationale, etc.) devront être financées… sur les aides existantes. Résultat : un million de francs en moins, chaque année, pour la production.
Le message implicite des pouvoirs publics est clair : il y aurait suffisamment, voire trop, d’argent dans la branche. Or, Fonction : Cinéma l’affirme ce postulat est faux, et dangereux. C’est ce qui alimente la division entre professionnels, les opposant dans une logique de survie où chacun tente de sauver son projet au détriment des autres. Ce qui explique pourquoi le climat délétère et destructeur.
Un réel manque d’argent
Or, la réalité est sans appel : les coûts de production ont augmenté. Inflation, exigences environnementales, dispositifs de prévention du harcèlement, revalorisation salariale… Autant de charges supplémentaires qui ne sont pas compensées. Pire encore, l’aide sélective n’a pas été augmentée depuis des années. La stagnation des ressources, dans ce contexte, équivaut à une perte sèche.
Cinéforom, de son côté, n’a pas non plus obtenu les hausses budgétaires demandées aux cantons romands. Le soutien qu’il peut accorder aux projets s’en trouve affaibli, réduisant son effet levier et compliquant la mise en place des plans de financement.
Dans ce contexte tendu, les accusations se multiplient. Fonction: Cinéma relève que des producteurs alémaniques ont adressé des courriers à l’OFC pour dénoncer la supposée surreprésentation des Romands dans l’attribution des aides. Ce type d’attaque nourrit une division stérile entre régions linguistiques et affaiblit la capacité du secteur à parler d’une seule voix face aux pouvoirs publics.
D’autant que la pression ne cesse de monter. Certains estiment qu’il y a « trop de films produits », d’autres critiquent la qualité du cinéma suisse, le jugeant « trop peu grand public ». Le ton se durcit, des conflits émergent, les dénonciations se multiplient – souvent anonymes – et l’ensemble du système se fragilise.
Ironie : jamais le cinéma suisse n’a été autant plébiscité !
En 2024, le succès rencontré par les films en salle et dans les festivals a été tel que l’OFC a dû revoir à la baisse le montant de la bonification annuelle du programme « Succès cinéma », faute de moyens suffisants. Une situation difficile, révélatrice d’un système incapable d’accompagner le succès qu’il a lui-même contribué à bâtir.
Face à cette crise, l’attente d’une manne providentielle issue de la « Lex Netflix » est une illusion. Les plateformes n’ont que peu d’intérêt à soutenir la diversité artistique ou le documentaire de création. Le financement public reste indispensable.
Pire encore, la réponse actuelle de l’OFC à la crise consiste à restreindre encore davantage les conditions d’accès à l’aide : commissions en visioconférence, limitation à un seul dépôt par projet, recentrage artistique vers des œuvres plus consensuelles… Ces décisions risquent de brider la diversité créative qui fait la richesse du cinéma suisse.
Appel à l’union
C’est dans ce contexte que Fonction:Cinéma demande à la branche de se mobiliser. « Les accusations portées contre Cinéforom n’ont jamais été confirmées, y compris au plus haut niveau judiciaire. Jeter le discrédit sur les institutions ne fera qu’alimenter les discours hostiles au cinéma suisse. L’enjeu est trop grand pour céder à la division. L’heure est au rassemblement. Seule une action concertée, portée collectivement par les professionnels, les syndicats et les institutions, permettra d’exiger des moyens à la hauteur des ambitions. Il en va de la survie du cinéma suisse dans toute sa diversité. »