Nouveaux site et maquette pour le Temps en septembre
INTERVIEW DE STEFPHANE BENOIT-GODET, REDACTEUR EN CHEF DU TEMPS
Stéphane Benoit-Godet a réussi par deux fois à prouver qu’il était l’homme de la situation : en 2003, lorsqu’on lui a confié la rédaction en chef du magazine économique Bilan, et en septembre 2014, quand le groupe Ringier l’a nommé à la tête du Temps. Par deux fois, sa principale mission a consisté à numériser les rédactions afin de les faire entrer dans l’ère des réseaux et des communautés.
Confiant, il se prépare aujourd’hui au déménagement de la rédaction vers Lausanne où les équipes du Temps, de L’Hebdo et de Boléro-Edelweiss travailleront pour la première fois dans une même newsroom.
Une révolution dans le monde du journalisme romand qu’il prépare avec Gaël Hurlimann, le nouveau rédacteur en chef des sites letemps.ch, hebdo.ch et edelweissmag.ch.
Le Temps fait partie de la famille des « Quality Paper ». Cette définition vous convient-elle ?
On parle également de média de référence ou, comme en Allemagne, « d’Intellectual Flagship ». En fait, il s’agit de la famille des quotidiens qui ont mis l’enquête au cœur de leur mission.
Ces termes ne créent-ils pas une hiérarchie fictive entre les titres ?
Je conviens que toutes ces définitions sont de l’ordre de l’auto-proclamation. Avec les réseaux sociaux, les médias ne peuvent plus être arrogants. Le monopole de l’information détenu par les journalistes n’existe plus et ces derniers doivent accepter d’entrer en conversation avec leurs lecteurs. Cette démarche est toutefois moins naturelle pour les « Quality Papers » qui cultivaient l’isolement comme marque d’excellence. De plus, aujourd’hui, être pertinent et innovant ne signifie plus être conformiste et ennuyeux.
Vous avez été choisi pour diriger Le Temps notamment car vous faites partie des rares rédacteurs en chef à avoir compris la révolution digitale et à l’avoir intégrée dans votre rédaction. Or, vous voici aujourd’hui dans un journal qui était totalement fermé aux réseaux sociaux. Comment avez-vous commencé à insuffler cette culture au sein de la rédaction ?
En permettant que tout le monde ait accès à Parse.ly, un outil de monitoring qui fonctionne comme Google Analytics. Il est désormais essentiel d’avoir une vision en temps réel de ce qui intéresse les internautes, de pouvoir suivre leurs réactions. Or, jusqu’à présent, les journalistes du Temps avaient peu de retours de l’extérieur.
Le courrier des lecteurs a toujours été rare et souvent perçu comme une intrusion, d’où l’importance que la rédaction comprenne qu’interaction ne signifie pas forcément critique. Sur les réseaux sociaux, le public « like » plus qu’il « unlike » et si, une polémique survient le journaliste peut également réagir directement.
Mais pour réagir, il faut être sur les réseaux. Or, Le Temps a pris un énorme retard.
Nous avons ouvert une page Facebook en début d’année et en trois mois, elle compte déjà 6491 amis. La preuve que le public n’attendait que cela.
La question aujourd’hui est de définir le bon nombre d’articles que nous devons diffuser sur cette plate-forme en tenant compte de notre paywall. Pour l’instant, le rythme est de cinq articles par jour. Ce nombre évoluera certainement en fonction de l’audience du site.
Sur Twitter votre marque est présente avec trois comptes : @LeTemps, @DataLeTemps, @LeTempsEco. Quelle est votre stratégie ?
Ces comptes ont été ouverts par des journalistes au moment de l’annonce de ma nomination. Je conviens que ce n’est pas très cohérent, mais il n’était pas question de casser de telles initiatives. Il est important que les journalistes s’emparent des outils 2.0, jusqu’à ce que nous définissions le cadre de notre visibilité numérique.
Cela nous amène à évoquer la future newsroom, qui réunira les rédactions du Temps, de L’Hebdo et de Bolero-Edelweiss. Comment avez-vous prévu d’organiser le travail ?
L’idée n’est pas de créer des équipes web dédiées qui travailleront pour des rédactions chargées d’écrire du contenu. Ce modèle ne fonctionne pas, car il cloisonne les talents.
Notre concept se veut plus horizontal et doit amener tous les journalistes à écrire autant pour le quotidien que pour les magazines, à publier leurs articles sur le web, à faire des vidéos et à être présent sur les réseaux sociaux.
Nous devons nous préparer, ces cinq prochaines années, à pouvoir envisager l’abandon du papier et à devenir un titre exclusivement online. Cette éventualité peut ne pas advenir, mais nous ne pouvons l’écarter.
Ce nouveau modèle exige plus de compétences, mais moins de postes. Pourrez-vous garder une rédaction de 100 journalistes ?
Il est clair que nous allons devoir faire des économies. Il est difficile aujourd’hui de quantifier le nombre de postes indispensables au bon fonctionnement de cette newsroom. Toutefois, innover et changer les habitudes de travail ne signifie pas que nous nous interdisions tout engagement. Nous l’avons fait en intégrant un responsable des sports, un nouveau responsable de la culture et une personne pour renforcer l’équipe genevoise.
Cela signifie-t-il que malgré le départ de la rédaction dans les bureaux de Ringier Romandie à Lausanne, vous allez garder une antenne à Genève ?
Oui. Dès le 1er avril, dix journalistes vont s’installer près de l’ancienne SIP. Le reste de la rédaction déménagera dans les locaux de L’Hebdo le 1er mai à Lausanne.
Nous venons d’évoquer les aspects organisationnels, mais qu’en est-il du positionnement du Temps. Autrement dit, quel est votre projet éditorial ?
Je souhaite faire du Temps un journal généraliste. Ce titre avait abandonné les domaines où il ne s’estimait pas suffisamment compétent. C’est une erreur si l’on en juge par les propositions des journaux comme Le Monde, le Financial Times ou le New York Times qui n’hésitent plus à sortir de leur zone de confort.
Raison pour laquelle j’ai réintroduit le sport et la musique et ouvert la culture à toutes les formes d’expression. Nous devons être là où nos lecteurs sont et parler de ce qu’ils aiment.
Un rédacteur en chef peut-il à lui seul insuffler une ligne à une rédaction ?
La question de la ligne est désormais moins cruciale que le lien avec les communautés. Une de mes missions est de connecter cette rédaction au monde des réseaux.
La presse vit un problème de génération. Les journalistes ne sont pas des « digital natives » et les éditeurs pour croyants qu’ils soient, dans le potentiel du web, ne sont pas des pratiquants du 2.0. Résultat, on ne peut parler de ce que l’on ne connaît pas et l’on ne peut s’intéresser aux revenus générés par un site sans comprendre tout l’écosystème numérique.
Votre sensibilité vous rapproche également du monde de la start-up. La vision du Temps sur l’économie va-t-elle évoluer ?
Le Temps va garder sa vision libérale qui défend la place financière. Ce qui ne nous empêchera pas d’être dans la disruption pour parler de l’économie de manière moins identitaire. Au final, nous ne sommes pas un journal B2B. Un quotidien se doit de suivre l’innovation et de parler de l’économie telle qu’elle est vécue au jour le jour. Il en va de même avec la politique.
Sur ce terrain, vous avez une place toute particulière dans le paysage romand.
La rencontre avec des parlementaires romands à Berne m’a fait prendre conscience que l’on attribue au Temps quasiment une mission de service public. Nous sommes le lieu qui s’impose naturellement pour le débat d’idées ; cela doit se refléter dans nos pages, notre site et sur les réseaux sociaux.
Allez-vous faire évoluer le site letemps.ch ?
Oui, nous allons intégralement refaire notre site en responsive. Nous allons également redessiner le journal. La date de lancement est prévue au 17 septembre prochain.
Verra-t-on un seul site regroupant les marques Le Temps, L’Hebdo et Bolero/Edelweiss ?
Marc Walder, CEO de Ringier Suisse, a récemment déclaré qu’en Suisse romande il y avait de la place pour trois sites : ceux du Temps, de la RTS et de 20Minutes.
Un des objectifs de la newsroom est d’agréger ces audiences en vue de créer une plateforme intéressante pour les annonceurs. Quelle sera sa marque, je ne peux encore le dire.
Le rachat des titres d’Axel Springer Suisse par Ringier Suisse vous amène dans la corbeille trois titres économiques : PME Magazine, Bilanz et Handelszeitung. On peut facilement imaginer qu’en plus du pôle premium, un pôle économique va se construire avec les rédactions du Temps et de L’Hebdo. De quoi en faire un méga site ?
Il est trop tôt pour faire des plans, la ComCo doit encore se prononcer sur ce rachat. Mais il est certain que des synergies existent.
Si l’audience du site letemps.ch progresse régulièrement (+47’000 Unique Clients entre 2013 et 2014), celle du print ne cesse de baisser. Lors de la dernière Mach Basic 2014-1, vous aviez 93’000 lecteurs (-44’000 lecteurs en 5 ans). Comment allez-vous redresser la barre ?
Nous devons redevenir plus présents dans l’espace public. Depuis que Le Temps a été racheté par Ringier, des opérations marketing, telles que le retour des manchettes sur les devantures des kiosques, l’encartage de TV8 le samedi, ont été lancées et elles ont déjà commencé à porter des fruits. L’actualité du début d’année (attentats contre Charlie Hebdo et les révélations de SwissLeaks) a également eu une incidence positive sur les ventes au numéro qui ont déjà crû de 11%.
Ces mutations et défis ébranlent les rédactions. Croyez-vous que le journalisme soit encore un métier d’avenir ?
Oui, car comme l’a résumé le patron du Figaro : « Un bon journaliste, à la fin c’est un bon journaliste ! » Et décrypter et embrasser une époque c’est une affaire de journalistes. Nous allons travailler différemment, produire plus, mais nous serons incontournables.