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Syriana contre Grounding

Chardon_Elisabeth.gifC’est le weekend de Pâques. Je regarde quelques films de Visions du réel pour préparer le festival: un adolescent japonais pense aux victimes d’Hiroshima, trois jeunes des banlieues françaises attendent leur jugement, des rescapés de Bam parlent à leurs morts… La force du propos plutôt que le choc des images. J’ai besoin d’un café. Justement, sur la table, George Clooney me regarde avec les yeux d’un complice en brigandage sensuel en demandant: «Nespresso: what else?». Il a vendu aux cupules caféinées son image de beau quadra avec qui je ne refuserais pas de partager un peu plus qu’un expresso. Même si, dans Syriana, il m’a désespérément rappelé Jean Yanne. Une telle transformation valait bien un Oscar! Syriana, Good Night, and Good Luck… D’un côté George Clooney joue pour la publicité le rôle du charmeur dans lequel certains – et même certaines – trouvaient pratique de le cantonner comme ils casent immanquablement une jolie fille dans la catégorie des gourdes. De l’autre, il s’enlaidit, se vieillit, s’empâte pour incarner des personnages pas franchement érotiques. Il faut dire que ces films sont peu soucieux de fournir aux spectateurs des supports à leurs fantasmes, à la façon hollywoodienne classique, c’est-à-dire plus anesthésiante que consolatrice. Ils traitent de la complexité du monde et de la difficulté des médias à rendre compte honnêtement de cette complexité.

Et donc, pour en revenir à ce que je disais plus haut, c’est bien avec le beau quadra que je partagerais un café et pas seulement avec sa photogénie publicitaire. Celui capable de choisir, et surtout de réaliser en ce qui concerne Good Night, and Good Luck, des films forts, de qualité, avec un battage marketing somme toute modeste pour des productions américaines, sans placements de produits exagérés. Bref, George Clooney profite de son image. Il ne la fabrique pas.

J’ai l’air d’en rajouter après ma dernière chronique sur Grounding? Sans doute. Mais je n’en démordrais pas: il y a des fictions qui font leur travail par rapport au réel et d’autres qui donnent juste envie de retourner à l’humilité d’un beau documentaire. Ainsi, devant la façon qu’a Syriana de mêler les différentes formes d’implications dans le drame, autant que devant le huis clos magnifique de tensions qu’est Good Night, and Good Luck, je n’ai pu m’empêcher d’établir des comparaisons avec le scénario à étages de Grounding. Et de trouver ce dernier plus méchamment artificiel que jamais.

Clooney aime le cinéma, il sait en faire et ça se voit. C’est un homme de qualité, et il est populaire. Un exemple pour tous les fabriquants d’enveloppes vides, pour tous les défenseurs de concepts creux, pour les vendeurs de vent de notre beau monde médiatico-culturel. Un whisky après le café?

elisabeth@cominmag.ch

Journaliste culturel, responsable de Sortir le guide culturel du Temps.

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