Un publicitaire qui révolutionne le marché du fromage
Pour Curdin Janett, ancien CEO de Publicis Zurich, le fromage était avant tout une passion. Désormais c’est son métier. Un changement de vie en forme de magistrale leçon de communication et de marketing qui prouve que, si les marques écoutaient et appliquaient vraiment les recommandations de leurs agences, elles pourraient se montrer vraiment disruptives.
« Je n’ai pas créé une marque de fromage parce que j’en avais marre de la publicité » tient à préciser Curdin Janett. « J’ai toujours eu envie de faire quelque chose dans ce secteur mais je ne savais pas comment. » Enfin pas tout à fait : son idée avait longuement mûri. En effet, son projet n’était pas de se mettre à la tête d’une fromagerie mais bien de créer une marque de fromage. « Contrairement à ce que l’on croit, il n’y en a pas. Le Gruyère, l’Emmentaler, l’Appenzeller ou le Vacherin ne sont que des appellations. Il suffit de connaître la recette et on peut produire ces sortes de fromages n’importe où sur la planète. Il n’y a de marque à proprement parler qui vous propose différentes variétés sous un même nom. »
Horizontaliser la filière, l’idée était totalement inédite ; pour ce faire, il restait à trouver des paysans prêts à travailler pour une marque et non pour une coopérative. « Pendant des années j’ai pensé à ce projet de manière sporadique sans trouver le moyen de le mettre en application. » Jusqu’au jour où tout va se décanter avec l’aide du spécialiste culinaire Dominik Flammer, qui lui fait rencontrer des fromagers. Il leur présente son idée et tous acceptent. « Bien qu’il y ait une part de risque, je n’avais plus d’arguments pour ne pas me lancer. C’était maintenant ou jamais. » Avec son associé, Michael Frankhauser, un économiste consultant en marques, ils élaborent alors le business plan.
Une feuille de route qui, depuis un an, tient parfaitement le cap. Tout y avait été extrêmement bien pensé : le naming qui reprend le nom d’une famille de négociants en fromages aujourd’hui disparue : Mauerhofer ; les valeurs de la marque : élevage respectueux, alimentation faite à 100% d’herbe et de foin, lait cru, rémunération équitable, pas d’additifs ; les produits : 13 types de fromage aux noms d’anciennes races des vaches laitières. Et pour assurer que toute la chaîne soit en conformité avec la promesse de qualité et d’éthique, cette nouvelle marque a installé ses quartiers dans le village bernois de Burgdorf, centre historique du commerce de l’Emmentaler. « Nous avons eu la chance de trouver une des dernières caves naturelles qui existent dans ce village, où nous laissons affiner les meules avant de les préparer pour l’expédition. Et les commandes proviennent toutes du site ».
Tradition et modernité
En effet, si la marque a un pied dans les traditions, le second ne craint nullement la modernité. Reprenant les codes du e-commerce, il est possible de passer commande via un abonnement trimestriel. « Le plus fou, c’est que bon nombre de nos clients ont opté pour cette formule sans même connaître nos produits. Désormais, nous leur envoyons un mail quelques jours avant la date d’expiration mensuelle pour qu’ils puissent nous confirmer les quantités et l’assortiment. » Le réseau des restaurateurs haut de gamme a également été activé, de même que Globus où les produits de cette marque sont désormais vendus. En moins d’un an : le business plan est tenu, la distribution est même en avance et d’autres sites de food suisses et étrangers devraient également proposer les fromages Mauerhofer.
Avec son air de ne pas y toucher, Curdin Janett concède qu’il est temps de passer au travail d’image de cette marque. Une campagne réalisée par l’agence zurichoise Walker a commencé avec de l’affichage en Suisse alémanique : « Avec mon passé, je craignais d’être un mauvais client. C’est pourquoi une fois le concept accepté, j’ai laissé une liberté totale à l’agence de publicité comme au web designer qui a dessiné le site et conçu le logo avec la charrette. »
20 tonnes devraient être vendus cette année. Compte tenu des critères de cette marque, Curdin Janett estime que le volume gérable devrait tourner autour des 100 tonnes. « Au-delà de ces chiffres, le plaisir est de partager la passion des paysans qui sont prêts à imaginer de nouvelles variétés. » Reconnaissant n’avoir jamais voulu ouvrir sa propre agence de communication car il est plus stratégique que créatif, il semble presque étonné du chemin parcouru en si peu de temps. Et de rappeler son credo : « A brand is a promise kept ». On ne saurait dire mieux !
[ASIDE]Les leçons à en tirer
• Horizontaliser un service existant peut être une plus grande innovation que la création d’un nouvel outil technologique
• Élaborer une stratégie qui tienne compte de tout l’écosystème : production, création, distribution
• Mettre en avant des valeurs et s’y tenir
• Faire passer le POURQUOI avant le COMMENT
• Démarrer à petite échelle et adapter ses dépenses en conséquence
• Faire des tests réels et ne communiquer qu’une fois que l’on est sûr que la chaîne fonctionne parfaitement
• Compter sur un réseau de journalistes pour faire vos relations presse
• Chercher à obtenir des clients avant des « amis » ou des « followers »
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